Quand un Nigérian s'y est procuré des explosifs dans le but faire sauter un avion de ligne américain le 25 décembre, le Yémen a soudainement été propulsé au centre de l'attention mondiale. La Presse a joint le Libanais Bernard Haykel, professeur au Near Eastern Studies de l'Université Princeton, et le Palestino-Jordanien Rami G. Khouri, directeur de l'Institut Issam Fares à l'Université américaine de Beyrouth, pour connaître leur point de vue.

Q La Grande-Bretagne a convoqué, pour le 28 janvier, une conférence internationale sur l'action antiterroriste au Yémen. Qu'en pensez-vous?

R Rami G. Khouri: Je n'en ai pas tant contre le sommet lui-même, mais contre les pouvoirs occidentaux américains et britanniques que l'on entend dans les médias depuis quelques jours. Tout à coup, le Yémen pose un problème de sécurité et il faut faire quelque chose. Cette approche n'est pas très crédible puisque la situation ne vient pas d'apparaître dans la dernière semaine. Ça dure depuis 20 ou 30 ans. L'Occident a appuyé le gouvernement d'Ali Abdallah Saleh pendant 30 ans sans se soucier vraiment de savoir si c'était bien ou pas. Dans une certaine mesure, la situation a été causée par les positions occidentales, qui ont soutenu les dictateurs et ont permis la corruption avec leur argent. Et ce n'est pas seulement inefficace, mais aussi insultant de voir quelqu'un comme Gordon Brown soudainement préoccupé par le Yémen, particulièrement avec le passé colonial du Royaume-Uni dans ce pays. J'appelle ça du terrorisme intellectuel.

Bernard Haykel: L'idée d'avoir une grande conférence sur le Yémen, c'est idiot. Les Britanniques connaissent déjà assez bien le Yémen. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ils agissent ainsi. Je crois que c'est pour des raisons de politique interne.

 

Q Une intervention armée de la part des États-Unis et de la Grande-Bretagne est-elle envisageable?

R Bernard Haykel: Je crois qu'il n'y a pas de solution militaire à ce problème - surtout pas américaine. C'est un problème régional, qui dépend des musulmans. Al-Qaeda est un groupe radical islamiste qui peut être maté par d'autres musulmans des États de la région. Le régime de Sanaa a d'autres ennemis; l'aide donnée au régime sera utilisée contre d'autres groupes rebelles, pas contre Al-Qaeda, parce que ce n'est pas une priorité pour lui. Ça ne veut pas dire qu'Al-Qaeda n'est pas une vraie menace, c'en est une. Mais l'Amérique doit intervenir auprès des pays de la région pour dire que le Yémen est un problème à eux et qu'ils doivent trouver une solution.

Q Le monde arabe n'a-t-il pas la responsabilité d'avoir laissé aller le Yémen?

R Rami G. Khouri: Je crois que la responsabilité est partagée par les pays de la région et l'Occident. Mais c'est l'Occident qui a fourni l'argent et les armes qui ont permis au pouvoir de rester en place. Les autres pays arabes ont pu jouer un rôle, mais pas si important que ça. Le Yémen n'a pas reçu beaucoup de leur attention, comme la Somalie, d'ailleurs.

Q Êtes-vous inquiet pour la suite des choses?

R Rami G. Khouri: Oui. Il y a plusieurs rébellions, les houthis au Nord, les séparatistes au Sud. C'est le chaos dans plusieurs parties du pays; il manque d'eau, il manque de pétrole, le tiers de la population est illettrée, c'est la guerre... C'est un gâchis! Ce qui me frappe le plus, c'est que le pays regroupe tous les problèmes du Proche-Orient: mauvaise gouvernance, corruption, rébellion, instabilité politique, pauvreté, sécheresse... C'est comme un microcosme des pires aspects du monde arabe. Mais c'est aussi un endroit merveilleux où les gens sont gentils, accueillants.

Q Que faudra-t-il faire pour aider le pays?

R Rami G. Khouri: Si les Yéménites voient que l'Occident veut les aider à rendre leur pays plus démocratique, je pense que graduellement, l'endroit deviendra plus stable. C'est aussi un défi pour la plupart des pays du Proche-Orient, l'Iran et la Somalie étant les pires exemples. La transition entre l'autocratie et la démocratie prend du temps, mais pas tant que ça quand on regarde la Turquie, par exemple, qui a fait la transition en deux décennies. Mais au Yémen, la pauvreté rendra les choses particulièrement difficiles.