Dans la tradition yéménite, la femme est loin d'être considérée comme l'égale de l'homme. Mais les choses évoluent, affirme Khadija al-Salami, une ressortissante du pays qui a réussi, par une série de rebondissements improbables, à mener une carrière de diplomate et à publier son autobiographie.

A priori, Khadija al-Salami semblait avoir à peu près autant de chances d'obtenir une formation universitaire et de poursuivre une carrière internationale de diplomate et de documentariste que de marcher sur la lune.

 

Née dans le Yémen des années 60, au coeur d'un pays rude et montagneux coupé du monde et des avancées technologiques, sans électricité ni même de papier monnaie, elle aurait dû se marier en bas âge et veiller sur ses enfants.

Mais une série de rebondissements, parfois douloureux, ont fait que la vie de Mme al-Salami a pris une tout autre tournure. Car cette femme menue au caractère bien trempé n'a jamais craint de défoncer les portes d'une société profondément traditionaliste.

«Je pense avoir démontré que si l'on veut changer les choses, on peut y arriver malgré tous les obstacles. Je suis profondément convaincue que la femme doit être considérée comme l'égale de l'homme», confie en entrevue à La Presse la ressortissante yéménite, qui vit entre Saana et Paris, où elle travaille comme attachée culturelle pour l'ambassade du petit pays moyen-oriental.

Dans un livre autobiographique intitulé Pleure, ô reine de Saba!, Mme al-Salami relate que son premier souvenir est celui d'un missile tombant sur la résidence de voisins.

La bataille qui faisait rage entre républicains et «royalistes» finira, quelques années plus tard, par emporter la raison de son père médecin, traumatisé par le carnage. Sa mère, qui avait failli périr dans le désert, enfant, après être tombée d'un chameau, obtient le divorce après une tentative d'agression par son époux, qui était alors en plein délire.

Tentative de suicide

Le grand-père, qui aspire à prendre en charge les enfants, répudie la jeune Khadija après qu'elle eut refusé, devant un juge, de vivre avec lui. Un oncle se propose alors de veiller sur l'avenir de l'enfant, partie vivre avec sa grand-mère après le remariage de sa mère.

Il organise un mariage forcé avec un ami yéménite établi en Syrie. L'homme, qui tentera lors de leur première rencontre de vérifier sa virginité en lui introduisant un doigt dans le vagin, promet de ne pas avoir de relations sexuelles avec elle avant l'âge de 14 ans.

Mais l'engagement est vite oublié. La jeune Khadija refuse de céder, tente de se suicider en buvant un produit toxique, et finit par obtenir le droit de retourner auprès de sa famille.

Son oncle, furieux de son comportement, vu comme une atteinte à l'honneur familial, la désavoue à son tour. Libre de chaperon, une rareté dans une société restée profondément patriarcale, elle peut dorénavant suivre sa voie.

À peine adolescente, elle décide de trouver un emploi pour financer ses études et obtient un poste dans une station de radio malgré les mises en garde de sa grand-mère. La vieille femme, qui vit comme nombre de personnes de sa génération dans la crainte des djinns, des créatures surnaturelles, est convaincue que le «métal qui parle» est un signe que le Jugement dernier approche.

Khadija al-Salami n'en a cure et part à la découverte du monde. La jeune femme se rend à Londres pour apprendre l'anglais, découvre l'Occident... et le vélo, qu'elle apprivoise sans trop de mal. Elle part ensuite, avec une bourse, étudier aux États-Unis, où elle s'initie à la communication et au cinéma, s'achète une voiture pour traverser l'Amérique. Après un bref séjour au Yémen, elle part découvrir Paris, où elle travaille pour une station de radio avant d'être embauchée par l'ambassade.

Elle y reviendra après un autre séjour aux États-Unis, où elle rencontre son mari, un Américain. Il se rendra au Yémen pour présenter une demande en bonne et due forme à sa famille alors que la première guerre du Golfe met le Moyen-Orient sens dessus dessous.

Le niqab généralisé

Bien que Mme al-Salami ait pu s'affranchir de la pression familiale pour choisir son conjoint, les mariages forcés demeurent fréquents, en particulier en zone rurale. Les choses évoluent cependant, souligne la ressortissante yéménite, qui insiste sur la nécessité de voir au-delà des apparences pour apprécier la situation de la femme dans le pays.

Bien que le port du niqab soit pratiquement généralisé et marque la perception des Occidentaux de passage à Saana, il ne doit pas faire oublier, souligne-t-elle, qu'un nombre croissant de Yéménites étudient, travaillent et circulent sans supervision masculine.

La situation, souligne Mme al-Salami, n'a rien à voir avec celle de l'Arabie Saoudite, plus conservatrice, où la séparation hommes-femmes est beaucoup plus tranchée.

L'attachée culturelle, qui s'inquiète de l'influence saoudienne sur l'évolution des moeurs de son pays, relève que la situation des jeunes Yéménites est très largement supérieure à celle qu'ont connue sa mère et sa grand-mère.

«Ce n'est même pas comparable. On les encourage par exemple aujourd'hui à étudier alors que ce n'était pas du tout le cas auparavant», souligne l'attachée culturelle, qui finance personnellement l'éducation de ses nièces.

«Les membres de la famille leur disent qu'elles doivent étudier pour pouvoir devenir comme leur tante», souligne-t-elle avec fierté.