À trois semaines d'un scrutin national clé, le vieux rêve d'unité de l'Irak s'évanouit peu à peu face aux messages électoraux vindicatifs et sectaires des différents candidats aux législatives. À Bagdad, seule la surenchère sécuritaire semble unir encore les Irakiens de différentes confessions face à la peur de nouveaux attentats.

Le 7 mars prochain, les Irakiens éliront leur nouveau parlement et avec lui, le gouvernement qui aura la lourde tâche de présider aux destinées du pays après le retrait des soldats américains fin 2011. Il devra garantir la sécurité face à une insurrection de plus en plus audacieuse et négocier un accord de partage durable du pouvoir entre chiites, sunnites et kurdes.

L'échec dans l'une de ces missions pourrait replonger le pays dans le chaos et l'anarchie des années récentes, et raviver les conflits communautaires de 2006 et 2007.

Car loin de prôner l'unité, la campagne électorale alimente les tensions. Les milliers d'affiches et de banderoles électorales qui ornent les rues de Bagdad jouent dangereusement avec les ressentiments communautaires. Les chiites, majoritaires dans la population et ainsi qu'au gouvernement, accusent les sunnites de rester fidèles à Saddam Hussein ou à Al-Qaeda. Les sunnites les accusent en retour d'opprimer le peuple.

Le porte-parole du gouvernement Ali Al-Dabbagh, candidat aux législatives, n'y échappe pas: il a lancé lundi son petit quolibet à l'encontre des parlementaires sunnites qu'il a accusé de travailler pour Al-Qaeda.

Une affiche du candidat chiite et ancien Premier ministre Ibrahim Al-Jaafari avertit qu'«il n'y a pas de place pour le Baas», parti de l'ancien dictateur Saddam Hussein, accusé par les Chiites de comploter pour revenir au pouvoir. Des accusations qui ne visent qu'à exploiter à des fins électorales les peurs de la population contre les sunnites, estiment ces derniers.

La candidature de plus de 440 postulants, majoritairement sunnites, a été interdite pour liens présumés avec le parti Baas par une commission de contrôle principalement composée de chiites. La querelle qui s'est ensuivie a envenimé les relations entre chiites et sunnites et alimenté les doutes sur la crédibilité du scrutin.

Dans une pique à peine voilée contre ses rivaux, le candidat sunnite Saleh Al-Moutlak a ironisé sur la présence en nombre de «voleurs» sur les affiches électorales, au détriment des «honnêtes gens».

«Je n'oublierai pas ceux qui vous ont oppressé», promet quant à lui Mahmoud Al-Machadani, ancien porte-parole du parlement, à ses électeurs sunnites.

Signe de ces tensions croissantes, des centaines de sunnites en colère sont descendus dans les rues de Bagdad et de Falloujah pour protester contre les commentaires insultants proférés par Bahaa al-Aaraji, un parlementaire chiite, à l'encontre d'un des compagnons du Prophète, vénéré par les sunnites mais vilipendé par les extrémistes chiites.

Les quelques messages d'unité, placardés en général par les forces de sécurité -ironiquement, surtout sur les murs des postes de contrôle-, tels que «loyauté à la patrie et au peuple seulement», peinent à redonner l'espoir de voir un jour l'Irak unifiée et débarrassée de la corruption et du sectarisme.

«Les choses vont de mal en pis du point de vue de la sécurité et des services, car les responsables sont préoccupés par les élections et leurs seuls intérêts», estime Ali Mohesen, fonctionnaire chiite de l'est de la capitale.

La physionomie de Bagdad n'est guère différente de celle des heures sombres de 2006, quand le pays était au bord de la guerre civile. Après une série d'attentats visant des cibles stratégiques en plein coeur de la capitale en août, les autorités ont renforcé les mesures de sécurité. Murs anti-explosion, checkpoints et patrouilles de police se sont multipliés dans les rues, et certains quartiers sont entièrement encerclés de murs de six mètres de haut. La plupart des Bagdadis hésitent à sortir de leur quartier après la tombée de la nuit, et les rues sont quasiment désertes passé 21 ou 22 heures.

«Je ne me sens en sécurité nulle part à Bagdad, les explosions et les fusillades peuvent arriver à tout moment», se lamente Salem Khatab Mahomet, un étudiant du quartier sunnite d'Azamiyah.

«Jusqu'à quand devrons-nous encore subir cette tragédie?», déplore Saleh Omran, un retraité sunnite du quartier Mansour à Bagdad. «Nous avons perdu notre humanité», regrette-t-il.