Les talibans jouissaient d'un soutien populaire «sans précédent» au printemps 2009 dans la province de Kandahar, en Afghanistan, au moment où l'armée américaine se préparait à y déployer des renforts, révèlent des données compilées par La Presse Canadienne.

Ces chiffres ont été obtenus par La Presse Canadienne en vertu de la loi sur l'accès à l'information. L'étude a été réalisée en 2009 dans le cadre d'un exercice d'évaluation de la campagne militaire en Afghanistan. Elle illustre le niveau important de résistance, il y a un an, à l'augmentation de la présence militaire américaine à Kandahar.

«Une aide économique internationale est nettement préférée à une aide militaire», indique le document au sujet de l'opinion publique afghane.

Un étonnant 25 pour cent des personnes interrogées ont indiqué avoir une perception favorable des talibans, dont 6 pour cent qui en avaient une perception «très favorable».

Un groupe de défense des droits de la personne prévient que ces sentiments sont encore bien présents aujourd'hui, ce qui laisse présager que le président Hamid Karzaï ne profitera peut-être pas de l'appui de la population pour l'offensive que l'OTAN s'apprête à lancer.

Dimanche, le président a indiqué que l'offensive sera annulée si les résidants de Kandahar n'en veulent pas. Il y est aussi allé de commentaires surprenants au cours des derniers jours, allant jusqu'à déclarer qu'il pourrait devoir se rallier aux talibans si les étrangers n'arrêtent pas d'interférer avec les affaires afghanes.

Le gouvernement américain a prévenu que de telles déclarations mettent en péril la visite que devait effectuer M. Karzaï à Washington le mois prochain.

L'étude témoigne aussi de la méfiance des Afghans envers les soldats étrangers. Le tiers des personnes interrogées ont dit avoir une perception défavorable des forces étrangères.

«Les talibans n'obtiennent pas la faveur de la population, dit l'étude menée en février 2009. Les Afghans continuent à largement préférer le (gouvernement de l'Afghanistan), mais la confiance s'effrite en raison d'un manque de sécurité, de justice et de services de base.»

De plus, l'attaque contre la prison de Sarpoza en 2008 semble avoir ébranlé la confiance des Afghans, créant chez eux un sentiment d'insécurité qui perdure.

«Moins de résidants de Kandahar se disent en sécurité que lors des études précédentes; ils sont plus nombreux à croire que la sécurité se détériore qu'à croire qu'elle ne s'améliore», ajoute le document.

L'étude a été menée dans la plupart des grands centres provinciaux, mais l'armée n'a pas dévoilé la taille de l'échantillon. Les militaires mènent de telles enquêtes depuis 2007.

Le directeur du groupe de défense des droits de la personne Afghanistan Rights, Ajmal Samadi, croit que les étrangers peinent à comprendre la complexité de la culture politique de Kandahar. «Les résidants se disent que les talibans - et même Al-Qaeda - ne leur ont jamais fait de mal, même s'ils étaient sévères», a-t-il expliqué en entrevue mardi, depuis Kaboul.

«(Les talibans) gouvernaient l'Afghanistan depuis Kandahar, a poursuivi M. Samadi. Ils ont donné à la population un sentiment de force. Les gens se sentaient en sécurité. Et maintenant, tout ça a disparu. Regardez ce qui arrive avec la corruption. La route qui mène à Kaboul n'est pas sécuritaire.»

Le gouverneur de la province ne nie pas les conclusions de l'étude, mais il croit que les habitants de certaines régions rurales sont contraints de voter pour les insurgés. «Les habitants des villages et des régions rurales sont des otages, a dit Tooryalai Wesa, mardi. Ils sont obligés de dire qu'ils appuient les talibans dans des régions où le gouvernement est encore faible. Ils doivent faire des compromis.»

M. Wesa croit que les appuis de la population envers l'offensive militaire augmenteront quand elle sera mieux comprise. Une affirmation qui fait rire M. Samadi, qui estime que la population est désabusée des promesses du président Karzaï.

«C'est trop tard pour Karzaï de vouloir démontrer son indépendance, a-t-il dit. Les résidants de Kandahar le voient comme une marionnette. Je suis désolé d'être si pessimiste.»