Des bébés d'un mois en manque. Des mères qui ne parviennent à calmer leur enfant qu'en leur soufflant de la fumée d'opium au visage. Des communautés entières «accro» à l'héroïne, sans possibilité de traitement, ou presque.

La consommation d'opiacés en Afghanistan a doublé au cours des cinq dernières années, d'après une étude de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) publiée cette semaine. Et plus largement, près d'un million d'Afghans, soit 8% de la population âgée de 15 à 64 ans, consomment régulièrement de la drogue, que ce soient des opiacés, du cannabis ou des tranquillisants. Parmi les 15-64 ans, 3% sont dépendants à l'opium et à l'héroïne.

Des centaines de milliers d'Afghans ont par ce biais trouvé un moyen d'échapper à la misère et à la guerre, constate l'ONU, qui a réalisé cette étude auprès de 2500 toxicomanes, responsables de communautés et dirigeants locaux, enseignants et médecins.

Ces chiffres placent l'Afghanistan à la troisième place des consommateurs d'opiacés dans le monde, derrière la Russie et l'Iran, précise Sarah Waller, une responsable du bureau de l'ONUDC à Kaboul. Et de rappeler une étude de 2005 qui avait établi qu'environ 1,4% des adultes afghans étaient dépendants aux opiacés, dans le premier pays producteur d'opium du monde.

Selon cette nouvelle étude, le nombre de consommateurs réguliers d'opium a bondi de 53% à 230 000 en 2009, contre 150 000 en 2005, et celui des consommateurs d'héroïne a plus que doublé en passant de 50 000 à 120 000.

Autant de statistiques montrant que si les pays occidentaux ont dépensé des milliards de dollars pour libérer l'économie afghane de l'économie de la drogue, la consommation d'opium et d'héroïne s'est ancrée dans la vie quotidienne. Et cette dépendance dresse une barrière supplémentaire dans le combat contre la drogue, principale source de revenus des talibans.

«Les conséquences humaines du problème de la drogue en Afghanistan ne sont pas seulement visibles dans les rues de Moscou, Londres ou de Paris. Elles concernent ses propres citoyens, dépendants de leur dose quotidienne d'opium et d'héroïne en majorité, mais aussi du cannabis, des calmants et des tranquillisants», constate Antonio Maria Costa, directeur exécutif de l'ONUDC.

L'Afghanistan fournit 90% de l'opium mondial, une grande partie de l'héroïne et du haschich également. Les cultures sont concentrées principalement dans le sud du pays, où les talibans en contrôlent la culture et les routes de contrebande.

Mais face à cette consommation galopante, le pays dispose de peu de moyens pour soigner les personnes dépendantes. Dans le centre de traitement pour femmes Sanja Amaj Women de Kaboul, moins de dix femmes et enfants sont traités au quotidien. Elles attendent sur des lits de camp d'être examinées par un médecin, alors que les enfants dessinent et jouent. Mais pratiquement tous ces enfants sont dépendants, explique Abdul Bair Ibrahimi, coordinateur de l'aide aux enfants au centre Sanja Amaj. Il y a beaucoup d'enfants «accros» dès l'âge de quatre ou cinq ans et le plus jeune avait à peine un mois.

Au cours de cette visite en février dernier, un reporter de l'Associated Press avait rencontré une femme d'âge mûr, qui avait raconté avoir commencé à prendre de l'opium sous les talibans.

«J'ai perdu mes frères dans des combats et ma vie était misérable. Mon beau-frère consommait de l'opium, il me voyait pleurer et m'en a proposé», se souvient Shirin Gul. Il y a deux ans, un neveu héroïnomane est venu s'installer sous son toit et elle est passée à cette drogue plus dure. Elle vient d'être admise pour la deuxième fois au centre, après une rechute.

Sa fille de 15 ans, Gul Paris, est également soignée pour sa dépendance à l'héroïne qui a commencé par des vols de petites doses à sa mère et à son frère. «Je ne savais pas que c'était mauvais pour moi».

Ce fléau touche toutes les couches de la population, à l'image d'un test réalisé auprès des recrues de la police afghane, qui a révélé que 12 à 41% d'entre elles consommaient de la drogue. «C'est une tragédie nationale», reconnaît Ibrahim Azhaar, le ministre adjoint à la lutte anti-drogue.