L'échange de tirs à la frontière libano-israélienne cette semaine a ravivé le spectre de la guerre dans un pays qui peine à se remettre des conflits qui l'ont agité depuis 35 ans. Pendant que les tensions sont vives au sud, le Liban cherche à renouer des liens avec sa voisine du nord, la Syrie. Ce qui pourrait se faire aux dépens de Libanais qui cherchent leurs proches emprisonnés dans les geôles syriennes, explique notre collaborateur.

Samira Zakharia, une mère beyrouthine de 76 ans, se souvient avec vivacité d'une chaude nuit de mai 1985.

«Trois miliciens, armes au poing, sont entrés dans ma maison pour emmener mon fils sous prétexte qu'ils voulaient l'interroger. Ils m'ont promis de le relâcher tout de suite après», raconte-t-elle.

Vingt-cinq ans plus tard, et malgré la fin de la guerre civile, elle attend toujours le retour d'Iskandar.

Samira décrit son fils comme un brillant jeune homme de 27 ans qui préférait concentrer ses énergies sur ses études plutôt que sur les débats politiques qui animaient alors le conflit entre 1975 et 1990.

«Tous les murs de notre maison sont tapissés de ses photos. Je prie chaque seconde pour qu'il nous soit rendu,» dit-elle.

Si elle garde espoir, c'est qu'il y a quelques années, un Libanais tout juste libéré de la prison de Mezzeh, en Syrie, lui a confirmé que son fils s'y trouvait, et qu'il était en vie.

Les conflits armés ont été si nombreux au Liban que rares sont ceux qui n'ont pas vécu ce calvaire.

Aujourd'hui, nombre d'entres eux préfèrent tourner le dos au passé et savourer la paix plutôt que de confronter l'héritage empoisonné laissé dans le sillage de la guerre civile.

Mais plusieurs douzaines de femmes, dont Samira, s'agrippent à ces souvenirs amers. Elles manifestent quotidiennement, depuis maintenant cinq ans, dans un parc en plein coeur de Beyrouth pour réclamer la libération de leurs fils ou leurs frères détenus en secret par les autorités syriennes.

Ghazi Aad, Libanais qui a cofondé l'ONG «Solide», qui organise les manifestations des familles de disparus détenus en Syrie, soutient que 575 d'entre eux ont été transférés dans une geôle syrienne. Damas rejette catégoriquement les accusations.

Derrière les manifestants, les photographies des jeunes hommes au sourire figé ont été accrochées sur une tente de fortune. Leurs looks, aujourd'hui franchement démodés, et l'inscription d'une année, celle de leur disparition, témoignent des années qui se sont écoulées.

Diplomatie délicate

Les forces d'occupation syriennes, déployées au Liban au plus fort de la guerre civile en 1976, étaient tristement célèbres pour leur utilisation de méthodes draconiennes pour écraser leurs opposants.

Depuis le retrait des troupes en 2005, les politiciens libanais tentent, à intervalle, de soulever la question des disparus auprès de leurs homologues syriens, mais leur manque de résolution évident trouble les familles des disparus.

«Tous les jours, vous entendez des politiciens dire: Oui, nous souhaitons résoudre le problème des disparitions forcées, dit Aad. Et pourtant, notre tente est toujours ici! C'est le témoin de leur incapacité de faire quoi que ce soit.»

L'allégeance de certains politiciens libanais aux intérêts syriens est, ici, un secret de Polichinelle. C'est aussi une source inépuisable de tracasseries politiques qui se sont souvent avérées fort déstabilisantes, voire sanglantes, pour le pays.

Dans de telles circonstances, accuser les dirigeants de Damas avec trop de témérité pourrait ouvrir une boîte de Pandore que plusieurs préfèrent voir demeurer fermée.

La récente détente dans les relations diplomatiques entre les deux pays, désirée de part et d'autre de l'échiquier politique, pourrait aussi nuire aux chances de voir le dossier progresser.

«Jusqu'à présent, l'histoire a démontré qu'à chaque fois qu'il y a un rapprochement entre la Syrie et le Liban, les politiciens libanais se désintéressent de cette question,» explique Nadim Houry, directeur du bureau beyrouthin de Human Rights Watch, organisation américaine de défense des droits de la personne.

Mais celui-ci met les autorités en garde: «Que les politiciens libanais n'aillent pas croire qu'ils pourront établir une bonne relation avec les autorités syriennes si cette blessure reste ouverte! Et il n'y a vraiment qu'une façon de la guérir: c'est d'admettre que les familles des disparus ont le droit de connaître la vérité.»