Azita Rafhat a décidé de transformer sa fille en garçon parce qu'elle en avait assez de subir des pressions. Pressions de son mari, qui voulait un fils à tout prix, pressions de sa belle-mère, qui l'insultait parce qu'elle était incapable de donner naissance à un garçon, pressions de la société, qui la jugeait: elle, Azita Rafhat, femme incompétente qui n'engendre que des filles.

Azita a grandi à Kaboul. Elle était douée pour les études. Elle voulait devenir médecin mais, à 20 ans, son père l'a mariée de force à un cousin. Elle a quitté le confort de la capitale pour atterrir dans un village éloigné, coincée entre une belle-mère autoritaire, un beau-frère, sa femme et ses enfants, et la première femme de son mari. Tous sous le même toit.

Elle est vite tombée enceinte. Elle a eu des jumeaux: deux filles. Un an plus tard, elle a eu une autre fille, puis encore une autre. Quatre filles. Son mari voulait un cinquième enfant. Azita a résisté. Peu de temps après, elle a convaincu son mari de quitter le village pour Kaboul, loin de la belle-famille.

Elle s'est mise à travailler, puis elle a fait le grand saut en politique. En 2005, elle a été élue députée au Parlement afghan. Elle avait une belle vie et quatre filles en santé. Mais ses électeurs la regardaient de travers. Quatre filles et pas un seul garçon. L'échec. La honte.

«Les gens me regardaient avec pitié et mon mari voulait un autre enfant, raconte Azita. Mais avec mon travail de députée, c'était très difficile.»

Il aurait pu aussi prendre une troisième femme.

Azita a convaincu son mari de transformer leur cadette en garçon. Mahnosh, 5 ans, est devenue Mahran. Ses parents lui ont coupé les cheveux et lui ont acheté des pantalons et une casquette.

Ils ne sont pas les seuls à changer leur fille en garçon. C'est une tradition afghane peu connue qui s'appelle bacha posh (s'habiller en garçon)*.

Azita et son mari échangent un regard de connivence. Dans leur salon étroit surchargé de meubles, ils racontent comme Mahran a vite délaissé ses airs de fille pour adopter le comportement d'un garçon. Sa façon de parler et de bouger a changé. Aujourd'hui, il a 7 ans. Il a acquis du pouvoir dans la famille et il est plus libre que ses soeurs, qui l'acceptent comme frère.

Quand des hommes viennent à la maison, Mahran peut se glisser dans la pièce et parler avec eux. Pas ses soeurs.

Azita parle. Son mari ne dit pas un mot. Quand un de ses téléphones cellulaires sonne, elle le tend à son mari avec un geste autoritaire. C'est lui qui se lève quand des invités se présentent à la porte.

Ils vivent dans un quartier tapissé d'immeubles construits par les Russes dans les années 80. Les bâtiments ont mal vieilli avec leurs façades défraîchies d'un gris soviétique et leurs escaliers usés. Azita vit au troisième étage, dans un appartement fait de pièces étroites et de couloirs sombres.

Quand Azita parle de Mahran, elle dit «il». «C'est notre fils, précise-t-elle. C'est important pour les Afghans d'avoir un garçon. Les filles partent vivre dans leur belle-famille. Les garçons, eux, restent et nous aident dans nos vieux jours. Et ils perpétuent notre nom.»

Un jour, Mahran va redevenir une femme. À la puberté, son corps va le trahir. Azita le sait et elle essaie de le préparer. Lorsqu'elle lui dit qu'il est une fille, il proteste. «Tu mens! Je ne suis pas une fille, je suis un garçon!»

Le passage risque d'être douloureux. Azita en sait quelque chose. Elle aussi s'est habillée en garçon pendant deux ans. Elle avait 12 ans et voulait aider son père, qui avait un magasin. Elle portait les cheveux courts et le pantalon. Avec sa forte carrure, les gens n'y voyaient que du feu.

«Quand je suis redevenue femme, j'ai perdu ma liberté. Mais cette expérience m'a aidée. Je comprends mieux les hommes. Mahran va être une femme forte.»

Pour l'instant, ils sont heureux. Son mari a un fils et Azita, elle, a enfin réalisé son rêve: former un couple parfait.

* The New York Times a publié un grand dossier sur les bacha posh le 21 septembre. www.nytimes.com

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