Coup de tonnerre au pays des Cèdres: la démission de 11 ministres a entraîné hier la chute du gouvernement du premier ministre Saïd Hariri, alors qu'il se trouvait à Washington. Le président Michel Sleimane devra donc lui demander de former un nouveau cabinet, un défi corsé compte tenu des disputes politiques qui déchirent le pays. L'événement pourrait d'autant plus retarder la publication des actes d'accusation des auteurs du meurtre du premier ministre Rafic Hariri en 2005. Quoi qu'il en soit, ont martelé les États-Unis, «cette tentative de faire tomber le gouvernement dans le but de mettre à mal le Tribunal spécial pour le Liban ne réussira pas».

Q: Pour quelle raison le gouvernement est-il tombé?

R: Le cabinet de 30 ministres nécessite un quorum des deux tiers des ministres pour fonctionner. Hier, 10 ministres appartenant au parti du Hezbollah ou à leurs alliés ont remis leur démission, malgré une médiation arabo-syrienne. Un onzième ministre, le chiite Adnane Sayyed Hussein, un des cinq ministres proches du président de la République, Michel Sleimane, a ensuite présenté sa démission, par souci d'équilibre, selon lui. Le quorum des deux tiers étant désormais impossible, le gouvernement est tombé. Saïd Hariri reste premier ministre en exercice jusqu'à la formation d'un nouveau gouvernement. Il pourrait être renommé, son camp disposant de la majorité parlementaire et jouissant de l'appui de l'Occident et de l'Arabie Saoudite. Hier, le président de la République a écarté la possibilité d'une nomination hâtive d'un nouveau gouvernement, tant que le premier ministre Hariri sera hors du pays (ce dernier devait rencontrer le président Nicolas Sarkozy, mais a fait savoir qu'il rentrerait directement au Liban).

Q: Pourquoi les ministres du Hezbollah et leurs alliés ont-ils démissionné?

R: Essentiellement à cause du soutien du gouvernement au Tribunal spécial sur le Liban (TSL), qui enquête sur l'assassinat du premier ministre Rafic Hariri (père de Saïd) en 2005. Le Hezbollah, qui estime que le Tribunal est «à la solde des États-Unis et d'Israël», craint que certains de ses membres soient visés par les actes d'accusation qui doivent être bientôt publiés. À ce titre, il avait pressé le gouvernement de désavouer le TSL. Joint à Beyrouth hier, le professeur Fady Fadel, de l'Université Antonine, a indiqué que le gouvernement n'avait jamais eu l'intention de donner suite aux demandes du Hezbollah. «Selon des sources proches de la majorité, il n'était pas question de prendre des mesures concernant le TSL avant la publication des actes d'accusation.»

Q: La publication des actes d'accusation pourrait-elle être retardée?

R: C'est fort possible. L'automne dernier, le procureur du TSL, Daniel Bellemarre, avait l'espoir de les publier avant la fin de 2010. Ce nouveau rebondissement risque de la retarder encore une fois. «Il y a une clause qui donne au procureur le pouvoir de déterminer le bon moment pour la publication», dit M. Fadel. À l'heure actuelle, des actes d'accusation ne pourraient être exécutés, ajoute-t-il.

Q: Le président Sleimane pourra-t-il former un nouveau gouvernement sans le Hezbollah?

R: Oui, à condition que toutes les confessions religieuses soient représentées au sein du gouvernement, explique le professeur Fadel. Des élections générales ne changeraient rien à la situation, selon lui. «Il semblerait que le Hezbollah n'est pas intéressé à devenir une force majoritaire puisqu'il n'a pas de programme économique. La situation actuelle lui assure une assise gouvernementale et un droit de regard, voire de contrôle et de blocage.»

Q: Qu'adviendra-t-il de l'accord de Doha, qui avait permis au Liban d'accéder à la stabilité politique après les violences de mai 2008?

R: L'accord précisait que, quoi qu'il arrive, il n'y aurait pas de démission en bloc de ministres, comme lorsque les six ministres du Hezbollah et leurs alliés l'avaient fait en 2006, toujours sur la question du TSL. La crise politique qui avait suivi avait duré deux ans et fait une centaine de morts, avant la signature de l'accord de Doha en 2008. La démission des 11 ministres hier marque la fin de l'accord. Faudra-t-il tout reprendre à neuf pour pondre un nouvel accord? Cette hypothèse a été rejetée hier par le premier ministre du Qatar, qui a privilégié une négociation dans le cadre de l'accord de 2008.