Il y a deux semaines, le premier ministre turc a incité Israël à «s'en débarrasser». Ses adversaires l'ont traité de «McCarthy israélien» et de «fasciste». Malgré tout, le ministre des Affaires étrangères israélien Avigdor Lieberman continue d'obtenir l'appui d'une tranche de la population. Et est en voie de se positionner comme futur leader de la droite israélienne, selon les conclusions d'un récent sondage.

Ariel Picard admire le ministre des Affaires étrangères israélien Avigdor Lieberman. Pour cet économiste d'origine française, immigré en Israël il y a 25 ans, le politicien «dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas».

Il s'est joint au parti ultranationaliste Yisrael Beitenou («Israël notre maison») il y a deux ans. Il cherchait alors une solution de rechange au Likoud, parti de droite au pouvoir.

Comme M. Picard, plusieurs Israéliens ont délaissé les partis traditionnels au profit de Yisrael Beitenou. Le parti fondé par Avigdor Lieberman en 1999, autrefois marginal, s'est hissé au troisième rang lors des élections de février 2009, récoltant 12% des votes.

La fermeté de son chef, notamment à l'égard des Arabes israéliens, a séduit les électeurs.

Les Israéliens sont habitués de voir le visage rond, bordé d'une barbe poivre et sel de leur ministre des Affaires étrangères faire les manchettes

Reconnu pour ses déclarations-chocs, Avigdor Lieberman a déjà appelé à l'exécution de députés arabes qui ont rencontré des leaders du Hamas. Ses propositions sur un redécoupage des frontières israéliennes pour placer sous tutelle palestinienne des zones à fortes populations arabes continuent de semer la controverse.

«Il sait parler»

Le chef de la diplomatie israélienne, émigré de Moldavie en 1978, s'est aussi attiré des critiques à l'étranger. Il a récemment accusé la Turquie d'être responsable de la crise diplomatique qui perdure entre les deux pays. Le premier ministre turc a pour sa part invité le gouvernement israélien à «se débarrasser» de son ministre.

«Lieberman sait parler, estime Avraham Diskin, professeur de sciences politiques à l'Université hébraïque de Jérusalem. Le gouvernement turc est très impopulaire parmi les Israéliens. Ça parle aux gens ordinaires, qui ne sont pas conscients des dommages qu'il peut causer sur le plan diplomatique.»

Dans des sorties publiques récentes, il s'en est également pris aux organisations non gouvernementales, qu'il accuse de travailler à «délégitimiser» Israël avec l'aide de fonds étrangers. Sa motion pour mettre sur pied un comité d'enquête sur leur financement a provoqué des remous et convaincu des milliers de personnes de manifester dans les rues de Tel-Aviv.

«Même si le comité sur le financement des ONG ne voit jamais le jour, le dommage est déjà fait quant à la perception que la population juive a de nous», déplore Mohammad Zeidan, directeur général de l'Association arabe pour les droits humains.

Poids à la Knesset

Ce n'est pas la première fois que Lieberman dépose une motion qui choque à la Knesset, le Parlement israélien. Il y a deux ans, il avait cherché à faire interdire deux partis arabes. Une décision de la Cour suprême israélienne l'en avait empêché.

«Puisque Yisrael Beitenou fait partie de la coalition qui dirige le pays, le gouvernement est dépendant de son soutien, estime Sammy Smooha, professeur de sciences sociales à l'Université d'Haïfa. Avigdor Lieberman utilise ce pouvoir pour faire des déclarations publiques choquantes et pour suggérer des lois qui promeuvent son programme.»

Yisrael Beitenou fait partie d'une coalition de six partis minoritaires qui forment le gouvernement depuis 2009. Avec ses 15 députés - sur un total de 120 -, il détient actuellement la balance du pouvoir à la Knesset.

S'il n'a pas encore fait tomber le gouvernement, c'est qu'il est moins jusqu'au-boutiste qu'on pourrait le croire, estiment certains analystes.

D'autres sont plutôt d'avis qu'il aurait de la difficulté à récolter davantage de votes. Dans une analyse d'un sondage réalisé la semaine dernière, le quotidien Yédiot Aharonot écrit que le politicien de 52 ans se positionne maintenant comme futur leader de la droite israélienne. Mais son parti arrive toujours troisième dans les intentions de vote.

Rumeurs de corruption

Le vent pourrait toutefois changer pour Avigdor Lieberman dans les prochaines semaines. Les rumeurs de corruption qui lui collent à la peau depuis les 10 dernières années font actuellement l'objet d'une enquête. La décision de l'inculper ou non devrait être rendue sous peu.

«Quand la décision sera rendue, peu importante dans quel sens, ce sera un tout nouveau jeu politique pour lui, souligne Avraham Diskin. Si l'enquête ne l'inculpe pas, il pourrait en sortir plus fort. Il n'aura plus rien à craindre.»