Depuis février, une liste d'accusés top secret fait l'objet de toutes les spéculations au Liban. Sur cette liste devrait figurer le nom des assassins du premier ministre Rafic Hariri, mais aussi de ceux, qui, en septembre 2005, ont essayé de tuer la journaliste May Chidiac. Aujourd'hui amputée d'un bras et d'une jambe, elle attend de pied ferme que la vérité éclate au grand jour. Nous l'avons rencontrée lors de son passage à Montréal.

«Comment s'est-on permis d'attendre qu'une jeune dame prenne sa voiture, alors qu'elle est habillée en rose comme un papillon, pour la faire voler en éclats?» La question pourrait être posée par un avocat devant un tribunal, mais dans la bouche de May Chidiac, elle prend une signification toute particulière.

Le papillon habillé en rose, c'était elle, la journaliste d'à peine 40 ans, sortant le 25 septembre 2005 de la maison d'un ami à qui elle avait rendu visite après avoir terminé le talk-show politique qu'elle animait tous les dimanches à la chaîne de télévision LBC (Lebanese Broadcasting Corporation). «On», c'est l'assassin qui a posé des explosifs sous le siège de sa voiture et qui a attendu le moment propice pour déclencher l'explosion.

Ce jour-là, le papillon a perdu une de ses deux ailes, mais la vie a été plus forte que la mort. Ayant subi des dizaines d'opérations, amputée d'un bras et d'une jambe, May Chidiac a survécu à l'attentat et espère connaître dans les prochains jours le nom de celui ou de ceux qui ont «voulu la faire taire».

En février, le procureur québécois Daniel Bellemare, qui a dirigé l'enquête sur l'attentat qui a tué le premier ministre Rafic Hariri le 14 février 2005, ainsi qu'une série d'autres assassinats et attentats perpétrés en 2004 et 2005, a déposé une liste d'accusations au Tribunal spécial sur le Liban.

Toujours secrète, cette liste est pourtant au coeur d'une crise politique au Liban. Craignant de voir ses militants accusés, le Hezbollah, mouvement chiite tout-puissant dans le sud du pays, a fait tomber le gouvernement de Saad Hariri, qui refusait de désavouer le tribunal.

Enquête professionnelle

Malgré ce branle-bas politique, May Chidiac dit avoir confiance dans le processus judiciaire qui la concerne directement.

«On doit avoir confiance en quelque chose, note-t-elle. Il faut que justice soit faite. J'ai confiance dans le professionnalisme de Daniel Bellemare et de son équipe d'enquêteurs. Si l'enquête est faite de manière professionnelle et mène à une conclusion tangible et scientifique, ça peut aboutir à la vérité», estime-t-elle.

Mme Chidiac croit cependant qu'il y a loin de la coupe aux lèvres avant que les commanditaires des attentats atterrissent derrière les barreaux. Dans son cas, elle soupçonne les autorités syriennes, qu'elle a critiquées ouvertement, d'avoir joué un rôle dans son assassinat manqué. «Est-ce qu'il y aura des interventions politiques pour ne pas arriver plus haut en hiérarchie? Ça, c'est une autre paire de manches», note-t-elle.

Le prix à payer

Estimant avoir payé le prix fort pour ses opinions, May Chidiac refuse néanmoins de se faire discrète. Un an après l'attentat, la blonde, qui se compare elle-même à la poupée Barbie, a repris son emploi à la télévision. «Je voulais dire à mes agresseurs: je suis toujours là, vous n'avez pas réussi.»

Elle a été à la barre de son émission pendant trois ans, a remporté plusieurs prix couronnant sa persévérance et sa promotion de la liberté de la presse, puis, un jour, alors qu'elle était en ondes, May Chidiac a annoncé qu'elle claquait la porte. Une nouvelle vie l'attendait. «J'ai décidé d'enlever ma casquette de journaliste et d'assumer pleinement mes opinions en tant que politicienne», explique-t-elle. Sa visite au Canada la semaine dernière était d'ailleurs payée par le Parti des forces libanaises et l'Alliance du 14 mars, coalition formée autour du parti de feu Rafic Hariri.

Ne craint-elle pas pour sa vie encore plus en tant que politicienne? À cette question, May Chidiac répond en haussant les épaules. «Ils ont déjà pris une moitié de moi. Qu'ils prennent l'autre! Je serai toujours fidèle à moi-même et ma cause: le Liban.»