Les forces de sécurité syriennes ont ouvert le feu, vendredi, contre les milliers de personnes qui manifestaient à travers le pays, tuant 80 protestataires, selon un nouveau bilan samedi matin, dont un jeune garçon, dans ce qui constitue la journée la plus sanglante depuis le début du soulèvement contre le régime autoritaire du président Bachar El-Assad.

Les manifestations anti-gouvernementales, organisées tous les vendredis depuis cinq semaines, sont devenues des bains de sang hebdomadaires, les autorités ayant clairement manifesté leur volonté d'écraser la révolte. Mais le bilan de plus en plus lourd n'a fait que revigorer le mouvement de protestation, dont les demandes sont passées des réformes modestes à la chute pure et simple de la dynastie Al-Assad, au pouvoir depuis plus de 40 ans.

Plus de 250 personnes ont perdu la vie dans les manifestations, selon des organisations de défense des droits de la personne.

«Les balles ont commencé à siffler au-dessus de nos têtes comme une pluie torrentielle», a dit un témoin à Izraa, un village du sud de la province de Daraa, où le soulèvement a commencé à la mi-mars.

Le chef de l'Organisation syrienne des droits de la personne, Ammar Qurabi, avait indiqué que 49 personnes avaient été tuées dans la journée, et que 20 autres étaient portées disparues.

Amnistie internationale avait quant à elle estimé que 75 personnes avaient été tuées, se fondant sur les bilans communiqués par des militants syriens.

«Le peuple veut la chute du régime», scandaient les manifestants dans les rues de Douma, en banlieue de la capitale, Damas, où environ 40 000 personnes se sont rassemblées. Les protestataires reprenaient ainsi les slogans entendus lors des soulèvements populaires qui ont mené à la chute des régimes en Tunisie et en Égypte.

Des témoins ont indiqué que les forces de sécurité avaient ouvert le feu à Douma et à Homs, dans le centre du pays. Les forces de sécurité, qui avaient auparavant établi des postes de contrôle pour tenter de limiter l'afflux de manifestants, auraient tiré à balles réelles sur la foule et fait usage de gaz lacrymogènes.

Des milliers de personnes ont aussi manifesté dans les villes méditerranéennes de Lattaquié et de Banias, à Raqqa et à Idlib, dans le Nord, dans la région kurde du nord-est et dans la province de Daraa, dans le Sud.

L'ampleur de la répression est apparue quand les manifestants ont commencé à se disperser. Une vidéo mise en ligne sur Facebook a montré un homme transportant un garçon ensanglanté près d'un immeuble, alors qu'on entend un autre enfant pleurer en criant: «Mon frère!»

Les hôpitaux ont reçu plusieurs personnes grièvement blessées.

Le bilan des victimes de vendredi n'a pas pu être confirmé de source indépendante, la Syrie ayant expulsé les journalistes étrangers et restreint l'accès aux zones de manifestations. Les témoins ont tous demandé que leur anonymat soir préservé par crainte de représailles.

Il s'agit des plus importantes manifestations jusqu'à maintenant contre le régime de Bachar El-Assad, qui a hérité du pouvoir de son père il y a 11 ans, mais qui a échoué à concrétiser ses premières promesses de réformes. La Syrie est considérée comme l'un des pays les plus contrôlés de la région.

Le président a tenté de calmer les protestations en lançant une sanglante répression en même temps qu'une série de concessions, dont la plus récente a été la levée, jeudi, de l'état d'urgence, qui donnait aux autorités des pouvoirs de surveillance et d'arrestation presque sans limites.

Bachar El-Assad a aussi répondu à une demande vieille de plusieurs décennies en accordant la citoyenneté syrienne aux milliers de membres de la minorité kurde, longtemps ostracisée. Le président a aussi congédié des responsables locaux, libéré des détenus et formé un nouveau gouvernement.

Mais plusieurs manifestants estiment que Bachar El-Assad ne mérite pas le crédit de ces changements.

«L'état d'urgence n'a pas été levé, il est tombé», a écrit une militante syrienne bien connue qui a été arrêtée plusieurs fois dans le passé, Suhair Atassi, sur sa page Twitter. «C'est une victoire qui résulte des manifestations, des protestations et du sang des martyrs qui ont appelé à la liberté de la Syrie.»