Une trentaine d'habitants d'Al-Araqib sont poursuivis par les autorités israéliennes pour les frais de démolition de leurs habitations. Depuis un an, le village, non reconnu par Israël, a été détruit et rebâti une vingtaine de fois. Ses habitants disent en être les propriétaires de droits ancestraux. Israël les accuse d'occuper illégalement des terres de l'État.

Assis en indien sur un mince matelas posé à même le sol, le cheikh Sayyah Al-Touri regarde au loin, appuyé sur une poutre de bois. L'homme de 60 ans pointe une vaste étendue de sable où se dressent quelques tentes, non loin d'un amas de morceaux de béton.

Il y a un an, ce terrain du désert du Néguev, dans le sud d'Israël, était le coeur d'Al-Araqib.

Le village n'est pas reconnu par l'État israélien, enregistré comme seul propriétaire de ces milliers d'hectares. Des Bédouins, descendants de tribus arabes semi-sédentaires et ayant la citoyenneté israélienne, les revendiquent.

Il y a un an, le gouvernement israélien a rasé le hameau, détruisant une quarantaine de structures et déracinant des centaines d'arbres. Les 300 habitants, aidés de militants israéliens et étrangers, ont rebâti des abris de fortune. Les habitations ont de nouveau été démolies. Le scénario s'est répété une vingtaine de fois au cours de l'année.

Il y a trois semaines, l'Administration israélienne des domaines, agence gouvernementale responsable des terrains, a déposé une poursuite contre 34 habitants d'Al-Araqib - dont le leader, le cheikh Al-Touri. Elle leur réclame un peu plus d'un demi-million de dollars pour le coût des opérations de démolition répétées. «Les sommes dépensées étaient devenues illogiques», précise au téléphone Israel Scop, directeur du service responsable de la supervision des opérations à l'Administration.

La poursuite n'a pas surpris les villageois. «Ça ne nous fait plus peur, dit le chef bédouin, vêtu d'une robe verte traditionnelle et d'un grand voile blanc. Nous avons l'impression que la justice est de notre côté. Même si je ne la vois pas de mon vivant, mes enfants la verront, et sinon, mes petits-enfants. Nous n'abandonnerons jamais la lutte.»

Cimetière centenaire

Les villageois sont maintenant installés près des tombes du vieux cimetière bédouin, dont Israël ne conteste pas l'âge centenaire. La preuve, selon les gens d'Al-Araqib, que les terres leur appartenaient avant la création d'Israël en 1948. L'Administration des domaines - qui dit ne pas avoir l'intention de détruire le cimetière - conteste en disant que les Bédouins ont commencé à «envahir» l'endroit en 1998, après plusieurs années de location à des fins agricoles. Plusieurs litiges se sont depuis retrouvés devant les tribunaux.

Tout autour du cimetière, la terre sablonneuse forme maintenant des sillons, prête pour des plantations. Les habitants d'Al-Araqib ont demandé une injonction pour empêcher l'afforestation sur les terres. La demande a été rejetée en janvier dernier, même si la juge a mis un bémol en recommandant au gouvernement et au Fonds national juif, qui gère la plantation d'arbres dans le secteur, de ne pas agir avec empressement. La création d'une forêt pourrait «changer la réalité sur le terrain et rendre la situation irréversible», a prévenu la juge.

Thaber Abu Rass, directeur des projets du Néguev pour Adalah, un centre légal de défense des droits de la minorité arabe en Israël, garde espoir que le gouvernement va trouver un compromis avec la population bédouine.

«Le Néguev compose les deux tiers d'Israël et seulement 10% de la population y vit. Il y a assez de place pour tout le monde, Juifs et Arabes», insiste-t-il.