La Palestine deviendra-t-elle bientôt le 194e État membre de l'ONU? Le président Mahmoud Abbas doit présenter sa grande demande à New York, vendredi. De Ramallah à Gaza, cette démarche est perçue avant tout comme un constat d'échec des négociations avec Israël. Les Palestiniens veulent tourner la page. Mais vers quoi?

Le directeur des Postes Fathi Shbak rêve du jour où les lettres livrées à son bureau de Ramallah porteront clairement la mention «Palestine.»

Pour l'instant, les expéditeurs recourent à toutes sortes de contorsions sémantiques pour adresser le courrier destiné à la Cisjordanie. Les enveloppes portent des inscriptions comme: «Naplouse, Cisjordanie, Israël.» Ou alors: «Ramallah, Territoires occupés, via Israël.»

La Palestine ne figure pas sur la liste de l'Union postale universelle qui coordonne les livraisons internationales. Les envois postaux transitent par Israël, qui perçoit les frais de douane et les transmet aux autorités palestiniennes. Quand la tension monte, les transferts sont bloqués, privant l'Autorité palestinienne de millions de dollars.

«Nous sommes parfaitement capables de traiter nous-mêmes notre courrier», grogne Fathi Shbak. Il sait bien qu'en se présentant devant l'ONU avec sa demande d'adhésion, le président Mahmoud Abbas ne changera pas sa vie du jour au lendemain. Et que la Palestine n'apparaîtra pas magiquement sur la liste des destinations internationales reconnues.

Mais ça ne l'empêche pas de penser que le jour de la grande demande, un pas important sera franchi.

Appui par défaut

Comme beaucoup de ses compatriotes, le chef des Postes palestiniennes soutient la demande d'adhésion à l'ONU, tout en sachant que ses effets seront limités.

En fait, dans l'immédiat, avec les menaces de sanctions brandies par Israël et les États-Unis, les conditions de vie risquent plutôt de se détériorer en Cisjordanie, qui a connu une croissance économique fulgurante depuis deux ans.

La démarche devant l'ONU est un «bon pas pour les Palestiniens, mais elle n'entraînera que des bénéfices limités si elle n'est pas suivie d'autres mesures», avertit Hani Al Masri, analyste au quotidien palestinien Al Ayyam.

«Sur le terrain, il n'y aura rien de changé, les colons juifs, le mur et les check points seront toujours là.»

Et le Soudan du Sud?

Pendant trois jours, à Ramallah, j'ai parlé avec des étudiants, des enseignants, des commerçants, des propriétaires de restaurants chic et des serveurs de bouibouis.

À quelques rares exceptions près, ils appuyaient la demande d'adhésion à l'ONU. Mais il fallait gratter longtemps avant de trouver un peu de ferveur.

Plusieurs ont cité l'exemple du Soudan du Sud, récemment admis comme 193e membre de l'ONU. Si les Soudanais du Sud peuvent avoir leur pays, pourquoi pas les Palestiniens, eux qui ont travaillé fort au cours des dernières années pour jeter les bases d'un État fonctionnel?

Mais il s'agit d'une sorte d'appui par défaut. Dans un discours télédiffusé hier, le président Abbas a confirmé son intention d'aller devant le Conseil de sécurité et tenté de convaincre les Palestiniens de soutenir sa démarche. Mais au café Stars&Bucks, au centre-ville de Ramallah, ses mots tombaient à plat. Les clients fumaient la chicha sans l'écouter.

«L'ONU va rejeter notre demande, pour nous, il n'y aura rien de changé», a dit le serveur Ahmed Akbar, en haussant les épaules.

Depuis une semaine, les dirigeants palestiniens essaient de «vendre» leur initiative à leur peuple. Mais le soufflé ne lève pas. Samedi dernier, à Beit Jala, près de Bethléem, des leaders de grands partis politiques palestiniens ont tenu une assemblée publique pour stimuler l'ardeur populaire. Devant la scène, la plupart des chaises étaient vides.

Les Palestiniens ne se font pas d'illusions. «Mahmoud Abbas ne reviendra pas de l'ONU avec un État dans sa poche», dit Hani Al Masri.

New York, et après?

Plusieurs se demandent ce qui se passera après la prestation new-yorkaise. Mahmoud Abbas va-t-il se contenter de reprendre des négociations qui ne vont nulle part, après son coup d'éclat? Ou a-t-il un autre plan dans sa poche? Autrement dit: est-ce le début d'un temps nouveau ou une mascarade? Le discours d'hier n'a pas apaisé leurs doutes.

D'autant plus que Mahmoud Abbas ne se bat pas uniquement pour «LA cause». Il lutte aussi pour sa survie politique. Son mandat est expiré depuis plus de deux ans et la demande d'adhésion à l'ONU, c'est un peu la dernière carte politique qu'il lui reste à jouer.

«La demande à l'ONU est un minimum, il faut s'en servir comme levier pour oublier les accords d'Oslo et changer les règles du jeu», dit Hani Al Masri.

Flashback: en 1994, le leader palestinien Yasser Arafat et le premier ministre israélien Yitzhak Rabin ont signé un accord qui créait une administration palestinienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, mais laissait en suspens les questions les plus délicates: frontières, statut de Jérusalem, sort des quatre millions de réfugiés.

L'idée était de laisser le climat de confiance s'installer avant de toucher aux dossiers explosifs. Mais en fait, c'est le contraire qui s'est produit. Entre 2000 et 2005, la deuxième intifada a fait plus de 5000 morts (dont un millier d'Israéliens).

Israël a fini par retirer ses colons de la bande de Gaza, mais ses implantations ont proliféré en Cisjordanie. Les Palestiniens estiment que sous le couvert des accords d'Oslo, Israël a poursuivi son expansion territoriale, dans l'espoir de rendre la création d'un État palestinien géographiquement impossible. Oslo, c'est fini, disent-ils. Il faut tourner la page.

Changer les règles du jeu

«Vingt années de négociations n'ont produit rien d'autre que des colonies, des murs et des check points», déplore Hanane Ashrawi, députée palestinienne qui avait joué un rôle de premier plan dans les accords de paix de 1994.

J'ai rencontré Hanane Ashrawi en 1995, alors que Yasser Arafat venait d'installer son gouvernement à Gaza. Elle était alors pleine d'espoir. Ce n'est plus le même monde», m'a-t-elle dit en m'accueillant cette semaine, à Ramallah, avant de s'envoler rejoindre Mahmoud Abbas à New York. Oslo, c'est terminé, pour elle aussi.

Pourquoi aller au Conseil de sécurité et risquer une rebuffade? «Parce que nous voulons porter notre dossier devant la communauté internationale, briser le monopole américain sur le processus de paix», répond Hanane Ashrawi.

Et puis, Hanane Ashrawi rappelle que c'est justement à l'ONU que naissent les États. Et c'est précisément là, en 1947, qu'un vote de 33 voix pour, 13 contre et 10 abstentions a donné naissance à l'État d'Israël.

LE PARI PALESTINIEN, EN BREF

La mécanique

Actuellement, l'Organisation de libération de la Palestine jouit d'un statut d'observateur à l'Assemblée générale de l'ONU. Les dirigeants palestiniens comptent réclamer une pleine adhésion à l'ONU, à titre d'État membre. Pour cela, ils ont besoin des deux tiers des votes de l'Assemblée nationale, et d'une décision du Conseil de sécurité - où ils vont vraisemblablement se heurter au veto américain. L'Assemblée générale pourrait aussi reconnaître la Palestine comme État non membre, par un simple vote majoritaire. Ce qui permettrait au nouveau pays de se joindre à des traités internationaux. Et de saisir la Cour pénale internationale de procédures contre Israël. Les Palestiniens estiment qu'ils peuvent compter sur au moins 126 voix sur 193 à l'Assemblée générale. Ce n'est pas tout à fait les deux tiers, mais ce n'est pas loin.

Les pour et les contre

Les dirigeants palestiniens croient que la reconnaissance internationale les placera en position de force face à Israël. Mais leur démarche soulève des réticences. Les 4 millions de réfugiés palestiniens, qui ne vivent pas sur le territoire du futur État, craignent d'être les laissés pour compte de l'initiative du président Abbas. Israël, de son côté, voit cette démarche unilatérale comme une façon de saper sa légitimité. Mais des voix israéliennes suggèrent que Mahmoud Abbas crée une bonne occasion pour en arriver à la solution des deux États - tout en se débarrassant de la menace du retour des réfugiés. Ce qui donne raison aux craintes de la diaspora palestinienne. Mahmoud Abbas a tenté d'apaiser ces craintes, hier, en insistant sur l'importance du sort des réfugiés.