Les islamistes qui contrôlent la bande de Gaza s'opposent à la tentative d'adhésion à l'ONU entreprise par les dirigeants palestiniens. Mais dans la population, leur popularité est en chute libre.

Sur sa page Facebook, Heba Salem a inscrit, comme lieu de résidence, la ville de Hanover, en Pennsylvanie. Si tout s'était déroulé comme prévu, elle y serait effectivement installée depuis un mois grâce à une bourse bien méritée.

Elle vivrait dans une famille américaine, aux côtés d'une «soeur» de son âge: 16 ans.

Mais Heba Salem n'ira pas à l'école en Pennsylvanie, cette année. À la dernière minute, le gouvernement du Hamas a refusé de lui accorder son visa de sortie. Comme quatre autres filles et trois garçons de son âge, elle est donc retenue dans la bande de Gaza, après avoir travaillé d'arrache-pied son anglais pendant deux ans dans l'espoir de décrocher cette bourse.

La raison du refus n'est pas claire. Quand ses parents ont demandé des explications, ils se sont fait dire que la décision était motivée par des raisons «culturelles et sociales». C'est tout.

Heba Salem est furieuse. «J'avais mis tous mes espoirs dans cette bourse. Tous mes espoirs ont été détruits par des gens qui ne comprennent rien à mes rêves.»

Les échanges étudiants sont organisés par Amideast, une ONG américaine qui, notamment, donne des cours d'anglais à Gaza. Je m'y suis arrêtée la semaine dernière pour en savoir plus sur cette histoire de visas bloqués. «Nous avons eu assez de problèmes comme ça, je ne vous dirai rien», m'a rétorqué un responsable du programme, visiblement mal à l'aise.

Mais Heba, elle, n'a pas peur de parler. Ce qu'elle ne comprend pas, c'est que ce programme d'études aux États-Unis existe depuis neuf ans. Qu'est-ce qui a poussé le Hamas à y mettre fin tout à coup? J'ai profité d'une entrevue avec le numéro 2 du Hamas, Mahmoud Zahar, pour lui poser la question.

Sa réponse a commencé par un malentendu: il a confondu le programme d'immersion bloqué par son gouvernement avec un voyage organisé par UNRWA, l'organisation de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, qui amène ses meilleurs élèves aux États-Unis. L'an dernier, lors d'une visite aux bureaux de l'ONU à New York, ces élèves sont tombés sur une exposition consacrée à l'Holocauste. Aux yeux de Mahmoud Zahar, c'est un scandale.

«Pourquoi ces jeunes devraient-ils apprendre une histoire qui n'est pas la leur? Pourquoi leur a-t-on parlé du supposé Holocauste au lieu de leur parler de la naqba?» s'est emporté Mahmoud Zahar. La naqba, ou catastrophe, c'est le nom donné à la guerre de 1948 qui a chassé les Palestiniens de leurs terres...

Une fois le malentendu éclairci, le leader islamiste s'est déchaîné. «Pourquoi ces jeunes devraient-ils aller aux États-Unis? Votre monde n'est pas un monde civilisé! Vous commettez des crimes contre la civilisation, avec la pauvreté, le sida, les relations sexuelles entre les hommes et les femmes, et même entre hommes! Même les animaux ne font pas ça. Et vous appelez ça la liberté?»

«Mais nous ne sommes pas des sauvages, nous savons comment nous comporter dans le monde», a protesté Heba Salem quand je lui ai fait part des raisons du refus invoquées par le numéro 2 du Hamas.

Heba Salem est inconsolable. «Je voulais tellement améliorer mon anglais et m'ouvrir à d'autres cultures!»

Heba et ses amis ont reçu l'appui des médias locaux. Une députée indépendante de Gaza, Ranya Shawa, et le Centre palestinien des droits de l'homme sont intervenus en leur faveur, en vain. Maintenant, il est trop tard. Au lieu de Heba Salem, c'est une jeune Allemande qui s'est installée dans la famille de Hanover, en Pennsylvanie.

Quand elle revient sur ce qui s'est passé, Heba a cette réflexion: «C'est comme si le Hamas nous imposait un deuxième état de siège.» Une couche supplémentaire de barreaux, par-dessus les barreaux dressés par Israël.

Élu en 2006, le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza un an plus tard, après une guerre fratricide avec le Fatah, le parti du président palestinien Mahmoud Abbas.

En quatre ans de règne, le Hamas n'a pas réussi à placer la bande de Gaza sous la chape de plomb d'une «moralité islamique» sans faille. Mais ce n'est pas faute d'avoir essayé.

Récemment, le gouvernement du Hamas a tenté d'interdire aux filles de fumer la chicha en public. Les gens ont protesté. Et le Hamas a reculé.

D'autres essais ont été plus fructueux. Les hommes ne peuvent plus aller à la plage en maillot de bain et torse nu. Il est interdit de faire jouer de la musique à tue-tête ou de fumer dans une auto. Les contrôles pour empêcher la consommation d'alcool ont été resserrés. Et des établissements qui permettaient à leurs clients de prendre un verre ont été incendiés.

La dernière guerre du Hamas vise... la Saint-Valentin, fête trop occidentale à son goût. Le 14 février 2010, deux hommes armés de mitraillettes sont entrés dans le bureau de Basil Shawa, propriétaire de l'hôtel Marna House. Leur arme pointée vers le patron, ils l'ont invectivé en lui interdisant toute célébration de la fête de l'amour dans son café-terrasse. Une véritable campagne contre la Saint-Valentin a aussi eu lieu dans les écoles.

Certains de ces interdits sont anodins. D'autres peuvent faire l'affaire des gens, comme cette loi contre les cigarettes dans les taxis. Gaza n'est pas l'Afghanistan sous les talibans, loin de là. Le Hamas ne parle pas non plus d'une seule voix et il est déchiré par des rivalités internes. «Parfois il semble s'inspirer du modèle turc ; d'autres fois, c'est le modèle iranien. C'est difficile de voir son vrai visage», dit Rawiya Shawa.

Il reste que ces pressions créent une atmosphère étouffante. «Le Hamas est partout. Quand mon père m'a fait un virement de 100$ de l'étranger, j'ai dû subir tout un interrogatoire», raconte un étudiant.

Mais à force de serrer la vis à la population, le Hamas perd en popularité. D'autant plus qu'il n'a pas vraiment rempli ses promesses électorales. «Quand ils ont été élus, les gens du Hamas avaient promis d'améliorer notre vie. Mais ils n'ont rien fait», dit un électeur déçu. S'il y avait d'autres élections à Gaza, le Hamas risquerait fort de perdre.