Des autobus où hommes et femmes sont assis séparément. Des publicités dépourvues de visages féminins. Des cadets scandalisés d'entendre des soldates chanter. En Israël, de plus en plus de voix s'élèvent contre la discrimination faite aux femmes au nom de la religion.

L'autobus est bondé. Aux arrêts, des hommes vêtus d'un long manteau noir et d'un large chapeau montent à bord et s'installent à l'avant. Les femmes, en jupe longue, entrent par la deuxième porte et prennent place à l'arrière. L'autobus traverse plusieurs quartiers ultra-orthodoxes de Jérusalem-Ouest.

Au premier rang, une femme de 25 ans est assise bien en évidence. Netta Ravid s'assure que la décision rendue en janvier par la Cour suprême, qui interdit la séparation forcée des hommes et des femmes dans les autobus publics israéliens, est respectée.

«Je me suis jointe au mouvement lancé il y a quelques années par l'Israel Religious Action Center (IRAC) quand j'ai pris par hasard un autobus ségrégationniste pour me rendre dans une autre ville, explique-t-elle. Des gens m'ont crié de m'asseoir à l'arrière parce que je suis une femme et j'étais scandalisée. Je n'avais jamais vu ça. Comme femme en Israël, je me sens libre, je viens de commencer mon doctorat. Mais j'ai vu que c'était différent pour des femmes dans d'autres communautés.»

Comme des dizaines de militantes, elle prend régulièrement l'un des six autobus «ultrareligieux» de Jérusalem. Si certains passagers détournent la tête en les voyant, les commentaires sont de plus en plus rares. Les affiches indiquant aux passagers qu'ils peuvent choisir leur place dans l'autobus ont cependant été arrachées.

Des médias israéliens ont rapporté dimanche des préoccupations qu'aurait soulevées la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton sur les droits des femmes en Israël. Le lendemain, un rabbin israélien haut placé a affirmé que la séparation des hommes et des femmes, en place depuis près de 15 ans sur certaines lignes d'autobus, n'était pas prescrite par la loi juive.

Ces autobus ne sont pas les seuls endroits où la présence des femmes cause des frictions avec les ultrareligieux. Il y a quelques semaines, neuf cadets ont quitté une cérémonie officielle dans laquelle des soldates chantaient, outrés d'entendre ces voix féminines. Dans un pays où les femmes comme les hommes font obligatoirement leur service militaire, l'incident a créé un scandale.

«Pour nous, c'est à partir de ce moment que le problème, vu comme essentiellement hiérosolymitain, est devenu un problème israélien», note Uri Ayalon, responsable d'une campagne contre la discrimination sexuelle pour l'organisme Yerushalmim (Hyérosolymitains).

Intitulée Non censuré, la campagne lancée il y a trois mois cible notamment les panneaux publicitaires à Jérusalem, d'où les femmes comme les fillettes sont pratiquement absentes. Les agences de publicité se plaignent de voir leurs affiches vandalisées ou carrément arrachées lorsqu'elles montrent des modèles féminins, même habillés modestement.

Certains cèdent sous la pression et préfèrent adapter leurs campagnes. Une affiche publicitaire placée récemment dans plusieurs villes du pays montre par exemple une femme tenant un sac à main. À Jérusalem, la tête du mannequin a disparu et la photo ne montre qu'un bras tenant un sac.

Yerushalmim a placé 140 photos de femmes volontaires dans plusieurs endroits de Jérusalem - mais à l'extérieur des quartiers les plus religieux. Quatre affiches ont été vandalisées en un mois, une petite victoire pour le groupe.

La preuve, selon Uri Ayalon, lui-même rabbin d'une branche plus libérale du judaïsme, que la censure vient souvent de l'intérieur. Et c'est cette autocensure, plus que celle des ultra-orthodoxes, qu'il cherche d'abord à combattre. «Quand on dit qu'on évite de montrer des femmes pour respecter les ultra-orthodoxes - sans même leur demander leur avis -, on voit qu'il y a beaucoup de travail à faire à l'intérieur même du mouvement pluraliste», souligne-t-il.

L'IRAC assure recevoir des commentaires positifs de membres de la communauté ultra-orthodoxe. «On reçoit des coups de fil de femmes, mais aussi d'hommes qui nous disent merci, note Netta Ravid. Ce sont des radicaux qui leur imposent la ségrégation. Eux ne sont pas nécessairement d'accord, mais c'est difficile pour eux d'aller contre leur communauté.»