« Y'a plus d'alcool! », beugle Narjess, qui mendie aux abords d'un débit d'Arassat, un quartier d'ordinaire animé du centre de Bagdad, mis au régime sec au lendemain d'une série de descentes musclées de l'armée dans les bars, restaurants et boîtes de nuit de la capitale irakienne.                                

Aux premières loges, Lazim, employé dans un magasin de spiritueux, dit avoir été prévenu de l'arrivée des troupes vers 20 h (13 h, heure de Montréal) par un ami qui travaille « dans un magasin à 200 mètres d'ici. Là-bas, les soldats ont tout détruit. Avant de partir, ils ont dit à mon ami : "Tu as dix minutes pour fermer, sinon ça va très mal se passer pour toi" ».

Lazim a pu baisser le rideau au moment où les « grosses cylindrées noires des soldats se garaient devant mon magasin. Avec eux, impossible de discuter. Mais grâce à Dieu, il ne s'est rien passé ».

D'après un responsable des forces de sécurité contacté par l'AFP, l'ordre de procéder à ces descentes a été donné par le général Farouk al-Araji, chef du cabinet militaire du premier ministre irakien Nouri al-Maliki.

Par dizaines, les soldats ont fait irruption dans les bars, restaurants et boîtes de nuit de Bagdad, passant les clients à tabac et saccageant tout sur leur passage.

« Les hommes de la brigade 56 ont reçu l'ordre de fermer les bars, boîtes de nuit et les magasins où de l'alcool est vendu, mais ils ont saccagé les établissements », a expliqué sous couvert d'anonymat le responsable de la sécurité, qui était toutefois dans l'incapacité d'expliquer la décision du haut gradé.

Clients frappés avec des câbles

Survêtement jaune et vert et coupe dans le vent, Abou Leopardo ne voit lui non plus pas très bien ce que les soldats venaient chercher, lorsqu'ils ont débarqué dans son restaurant, le Paradis des songes, au moment du coup de feu.

« Ils étaient plusieurs dizaines », raconte ce jeune homme de 27 ans. « Sans rien dire, ils ont commencé à dévaster la salle du restaurant. Ils ont frappé des clients avec des câbles, et après, en cuisine, ils ont cassé les bouteilles de bière et de whisky. Certains de mes employés sont à l'hôpital ».

Dans l'arrière-cuisine, des employés bangladais et pakistanais en sandales ramassent les tessons de bouteille de bière et d'alcools forts, plus surpris que choqués.

« C'est un établissement cinq étoiles, ici. Oui, on sert de la nourriture et de l'alcool, mais on n'emploie pas de femmes», déclare Abou Leopardo. « Je suis chrétien et irakien. Mais j'en ai assez, je veux quitter l'Irak par le premier avion ».

Dans les rues adjacentes au Paradis des songes, nombreux sont les restaurants à avoir fermé boutique indéfiniment, infligeant un coup dur à la vie nocturne de Bagdad qui, après des années de violences, commençait lentement à éclore.