Les talibans ont déjà restreint de façon draconienne les droits des filles et des femmes afghanes depuis leur retour au pouvoir, il y a un an, et pourraient être tentés d’aller encore plus loin si la communauté internationale ne se mobilise pas plus énergiquement pour les freiner, prévient une recherchiste d’Amnistie internationale ayant récemment enquêté en Afghanistan.

Nicolette Waldman a indiqué mardi en entrevue avec La Presse que les dirigeants du mouvement ultrareligieux savent « que le monde a changé » depuis l’époque où ils ont dirigé le pays une première fois, de 1996 à 2001, et qu’ils ne peuvent a priori « adopter des politiques aussi restrictives qu’avant sans subir de contrecoups ».

« On peut cependant craindre qu’ils se sentent encouragés à le faire s’il n’y a pas plus de réactions à leurs décisions », relève Mme Waldman, qui espère secouer les esprits avec un nouveau rapport traitant de la « mort au ralenti » des Afghanes.

Le document de 90 pages, paru mercredi, dresse un portrait alarmant de la situation en se basant notamment sur des entrevues avec une centaine de femmes et de filles du pays et des dizaines de travailleurs humanitaires.

Les pressions des talibans, souligne le rapport, ont notamment eu pour effet de limiter radicalement l’accès à l’éducation.

PHOTO LILLIAN SUWANRUMPHA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une femme portant la burqa accompagne ses deux enfants, en banlieue de Kandahar.

Après avoir affirmé que les filles pourraient continuer leurs études secondaires, les dirigeants du pays ont évoqué en mars « un enjeu technique » lié au développement d’un uniforme scolaire pour ordonner leur renvoi à la maison, et ils ne cessent depuis de reporter leur retour.

Yasamin, travailleuse humanitaire de 27 ans, a indiqué qu’elle avait contribué à mettre sur pied des écoles clandestines pour contourner le problème malgré la peur de représailles.

À l’université, le port obligatoire de la burqa et la séparation des genres, qui entraîne l’aménagement de classes séparées et limite leur droit de parole, cause de sérieux maux de tête aux étudiantes.

Elles doivent par ailleurs composer avec le découragement découlant du fait que les talibans ont considérablement réduit leurs perspectives d’emploi en réduisant la place des femmes sur le marché du travail.

Metra, ex-étudiante en journalisme, a abandonné par dépit. « J’ai conclu que ça ne sert à rien d’étudier si je ne peux pas faire ce que j’aime, alors j’ai quitté l’université », a-t-elle confié.

PHOTO DANIEL LEAL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des femmes chiites quittent la mosquée Sakhi Shah-E Mardan, à Kaboul.

Les talibans ont imposé par ailleurs de sévères restrictions de mouvement en société aux femmes, qui doivent désormais être accompagnées même en ville par des chaperons, normalement issus de leur famille.

La mesure, qui devait s’appliquer initialement aux déplacements sur de longues distances, a été élargie en mai lorsque le ministère « de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice » a statué que les femmes ne devaient pas montrer leur visage en public et rester à leur domicile « sauf en cas de nécessité ».

Cas de torture

Des Afghanes ayant contrevenu à ces directives ont été appréhendées et placées en détention pour « corruption morale », signale Amnistie internationale, qui a relevé plusieurs cas de torture.

Une femme prise sans chaperon a témoigné qu’elle avait reçu des décharges électriques à répétition avec un pistolet électrique. « Ils me traitaient de prostituée, de salope, des choses du genre. Le gardien tenant le pistolet m’a dit qu’il me tuerait et que personne ne pourrait trouver mon corps », a-t-elle déclaré.

La détérioration des droits des femmes est particulièrement manifeste dans le traitement des victimes de violence conjugale, relève le rapport d’Amnistie, qui s’alarme de la disparition d’institutions censées leur offrir une protection, notamment le ministère des Affaires féminines.

Avant l’arrivée des talibans, il existait une série de refuges pour accueillir les femmes en détresse, mais ils ont été démantelés au cours de la dernière année, les laissant souvent seules face à leurs bourreaux.

« Lorsqu’on leur pose directement la question, les dirigeants talibans disent que les doléances des femmes violentées devraient pouvoir être entendues par les tribunaux, mais elles ne seront pas à l’aise de porter plainte dans un système dominé par les hommes. Encore moins si elles ne peuvent pas sortir sans chaperon […] C’est de l’aveuglement volontaire », relève Mme Waldman.

La multiplication de mariages de filles en bas âge, qui s’explique en partie par l’appauvrissement de la population, est une autre illustration criante de la gravité de la situation des femmes, relève la recherchiste, qui presse la communauté internationale d’adopter des sanctions ciblées contre les dirigeants talibans pour les contraindre à rectifier le tir, dit-elle.

Nombre d’Afghanes interviewées par Amnistie internationale témoignent d’une grande solitude, mais aussi d’une réelle colère face à l’indifférence relative de la communauté internationale.

« Les gens ne voient pas et n’entendent pas ce qui nous arrive parce qu’ils ne sont pas eux-mêmes affectés. Ils comprendraient seulement si ça leur arrivait », a déploré Jamila, une directrice d’école interviewée dans le cadre du rapport.

« Elles se demandent comment c’est possible que le monde ne soit pas plus perturbé par ce qui leur arrive », relève Mme Waldman.