(Gujranwala) Tous les jours cette semaine, l’ex-premier ministre pakistanais Imran Khan a pris place sur un camion bringuebalant en direction d’Islamabad, pour scruter la masse de ses supporteurs enthousiastes qui, espère-t-il, le porteront bientôt vers un second mandat.

Lunettes de marque sur les yeux, triturant un chapelet de perles acajou, l’ancien champion de cricket devenu une incarnation du populisme en politique, dégage une énergie digne d’un Monsieur Loyal, subjuguant la foule par son sens du spectacle et son aisance oratoire.

Mais la tournée a pris un tour dramatique jeudi quand un homme armé a tiré une rafale sur les officiels perchés sur le camion. Parmi eux, M. Khan a été blessé à une jambe, mais était dans un état stable. Ses partisans ont dénoncé une tentative d’assassinat.

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Imran Khan a été blessé à une jambe, mais était dans un état stable

« C’est un mouvement, c’est une lutte », avait plus tôt cette semaine déclaré M. Khan, 70 ans, dans cette même ville de Gujranwala, 190 km au sud-est de la capitale.

« C’est pour ça que je bénéficie d’un soutien massif maintenant », avait-il ajouté.

Depuis vendredi, l’ancien premier ministre, renversé en avril par une motion de censure, a pris la tête de cette « longue marche » entre Lahore et Islamabad, destinée à montrer le soutien de la population en faveur d’élections anticipées.

Chaque jour, la cavalcade de motos, de SUVs aux vitres teintées et de camions surmontés de conteneurs de transport avançant pesamment, s’est un peu plus rapproché de la capitale.

La foule exprime une indéniable énergie et une pointe de fanatisme, qui a apparemment contribué à sauver la vie de M. Khan.

Fawad Chaudhry, ancien ministre de l’Information du gouvernement Khan, a indiqué à l’AFP que des gens avaient tenté de saisir l’arme, ce qui avait empêché l’assaillant de tirer plus précisément.

« Il est super »

Imran Khan est entré sur la scène politique pakistanaise en se présentant comme un réformateur. Il a fondé en 1996 son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI, Mouvement du Pakistan pour la justice), en pourfendant la corruption généralisée et le rôle des deux grandes dynasties, les Bhutto et les Sharif, qui ont monopolisé le pouvoir pendant des décennies.

Pendant des années, il a été le seul député PTI. Mais en 2013, son parti s’est imposé comme une force d’opposition avec laquelle compter, puis comme la première formation à l’Assemblée nationale après les élections législatives de 2018.  

Mais sous son mandat de trois ans et demi, l’économie s’est effondrée et il a perdu le soutien de l’omnipotente armée, qui avait été accusée d’avoir contribué à le faire élire.

La coalition au pouvoir – menée par Shehbaz Sharif – qui l’a poussé vers la sortie, n’a cependant pu enrayer la crise économique et a fait oublier aux yeux de nombre de Pakistanais les propres lacunes de M. Khan.

« Il était super quand il était au pouvoir et il est super encore aujourd’hui », insiste Basharat Ahmad, 52 ans, une écharpe aux couleurs du PTI autour du cou et une broche du parti rutilante épinglée à la poitrine.

Depuis son éviction, il a été confronté à plusieurs procédures judiciaires, une stratégie souvent utilisée au Pakistan pour neutraliser un homme politique trop encombrant, mais dont il s’est jusque là sorti sans trop de dommages.

Cette longue marche est la riposte de M. Khan, qui pousse pour que les élections aient lieu immédiatement, quand le gouvernement souhaite attendre la date butoir d’octobre 2023, pour se donner le temps de remettre l’économie sur les rails.

Chaque jour, il monte sur son conteneur, s’arrête à son pupitre où ses fidèles le tapissent de pétales de fleurs, pointe le doigt vers le ciel puis se touche le cœur, alors qu’éclatent dans le ciel quelques gerbes de feu d’artifice.

« Ligne rouge »

Des gardes privés et une unité d’élite de la police montent la garde, mais il règne une atmosphère permanente de confusion.

Dans la sonorisation grésillante, il ressasse ses arguments habituels : une longue liste de griefs à l’égard des autorités, mais pas la moindre ébauche d’un programme de campagne.

Une antienne sans cesse rebattue est la thèse selon laquelle sa chute aurait été le fruit d’une « conspiration » ourdie par les États-Unis et que l’actuel pouvoir n’est qu’un « gouvernement d’escrocs importés ».

Aucune preuve crédible de ses accusations n’a jamais été apportée, mais le message anti-Amérique résonne puissamment auprès de ses partisans.

« Khan est devenu un “homme d’acier” pour les gens parce qu’il a défié les infidèles », assène fièrement Nazar Hussain, 48 ans, un vendeur de rue qui tente d’écouler ses chapeaux et drapeaux aux couleurs du PTI.  

« Il éveille les gens et leur transmet un message de patriotisme », dit-il.

La marche est censée arriver la semaine prochaine à Islamabad. Les militants PTI jurent leurs grands dieux que tout se déroulera dans le calme. Mais la tension est tout de même palpable.

« Imran Khan est la ligne rouge du Pakistan, ne vous avisez pas de la franchir », peut-on lire sur un capot de voiture.

En début de semaine, M. Khan a affirmé que la révolution était en branle au Pakistan. La seule question, a-t-il ajouté, est de savoir « si elle se fera en douceur par le bulletin de vote, ou si elle sera destructrice avec une effusion de sang. »