(Beyrouth) Douze ans après avoir été mis au ban des nations arabes, le président syrien Bachar al-Assad est en passe de regagner sa place parmi ses pairs, qui ont tenté sans succès de s’en débarrasser.

Ce retour devrait aider le chef de l’État syrien à asseoir sa légitimité à la tête de son pays, ravagé par la guerre civile, même s’il n’en contrôle pas tout le territoire et si une issue au conflit semble encore très lointaine.

Neuf pays arabes se réunissent vendredi en Arabie saoudite, poids lourd du monde arabe, pour débattre d’un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe, avant le prochain sommet prévu le 19 mai dans le royaume.

Cette réunion intervient au lendemain d’une visite surprise du ministre syrien des Affaires étrangères, Fayçal Moqdad, en Arabie saoudite, pour la première fois depuis le début de la guerre en Syrie en 2011.

« Assad a simplement rejeté tout compromis et a attendu que ses ennemis jettent l’éponge, et cela a marché », constate Aron Lund, du centre de réflexion Century International.

« Ils reviennent aujourd’hui l’un après l’autre pour lui serrer la main, et faire comme si la dernière décennie n’avait pas existé », ajoute-t-il.

Damas était isolé sur le plan diplomatique depuis la répression en 2011 d’un soulèvement populaire qui a dégénéré en guerre civile.

La guerre a fait environ un demi-million de morts, transformé près de la moitié des Syriens en réfugiés ou en déplacés et fait de la Syrie un terrain d’affrontement entre forces étrangères.

Le régime syrien avait été exclu de la Ligue arabe en 2011 et l’opposition avait même occupé le siège de la Syrie au sein de l’organisme lors d’un sommet en 2013.

Le royaume saoudien avait rompu ses relations en 2012 avec la Syrie, où il a soutenu des rebelles au début du conflit, comme d’autres pays du Golfe.

Mais de plus en plus de pays arabes sont désormais en faveur d’une réhabilitation du régime syrien, alors qu’une nouvelle donne régionale se dessine, notamment avec le rapprochement entre l’Arabie et l’Iran, grand allié de Damas.

Le séisme du 6 février qui a dévasté la Turquie et la Syrie a constitué une occasion pour le régime de Damas de reprendre langue avec l’Arabie, l’Égypte et d’autres pays arabes qui lui ont envoyé une aide humanitaire.

Difficile reconstruction

Assad mise sur une normalisation avec les pays arabes, notamment les riches monarchies du Golfe, pour obtenir des fonds nécessaires à la reconstruction de son pays exsangue.

Mais « les sanctions américaines vont continuer de dissuader les investissements saoudiens ou émiratis dans les projets syriens ou la reconstruction », avertit Aron Lund.

Une normalisation avec le régime syrien impliquera également « une coopération accrue dans le domaine sécuritaire, notamment la lutte contre le trafic de drogue », explique l’analyste spécialiste de la Syrie Sam Heller.

Au fil de la guerre, la Syrie s’est transformée en véritable narco-État et l’Arabie saoudite s’inquiète notamment du trafic de captagon, une drogue dont le royaume est devenu le plus grand marché.

Sur le plan politique, le rapprochement avec les pays arabes va également faire le jeu de Damas, car il devrait se répercuter négativement sur les interminables négociations en cours à Genève entre le régime syrien et l’opposition, selon Sam Heller.

« C’est exactement ce que voulait Damas », explique-t-il, rappelant que le régime de Bachar al-Assad « a toujours refusé de reconnaître les représentants de l’opposition ».

Le retour de la Syrie dans le giron arabe « envoie un message à l’opposition, selon lequel Assad va triompher en fin de compte et leurs appuis étrangers vont les trahir », estime Aron Lund.

« Pas de solution politique » -

« Je ne crois pas qu’il y ait de solution politique sur la table en Syrie, il n’y en a jamais eu », tranche Aron Lund. « Et pour le moment, il n’y a pas de solution militaire non plus, en raison du rôle de blocage des forces impliquées en Syrie », ajoute-t-il.

Des décennies de tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite

Les relations entre l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite, tendues depuis des décennies par une lutte d’influence dans la région, amorcent une détente depuis que les deux pays ont convenu en mars de rétablir leurs liens rompus en 2016.

Révolution iranienne et guerre

Après la création de la République islamique d’Iran en avril 1979, les pays sunnites accusent l’Iran de vouloir « exporter » sa révolution chez eux.

En 1980, l’Irak attaque l’Iran, déclenchant une guerre meurtrière de huit ans au cours de laquelle l’Arabie saoudite soutient financièrement le régime irakien.

Pèlerins tués, liens rompus

En 1987, les forces de sécurité de La Mecque, en Arabie saoudite, répriment une manifestation antiaméricaine non autorisée, organisée par des pèlerins iraniens. Plus de 400 personnes, pour la plupart Iraniennes, sont tuées.

Des Iraniens en colère pillent l’ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran et, en 1988, Riyad rompt ses relations diplomatiques jusqu’en 1991.

Opposés en Syrie et au Yémen

Alors que les manifestations du Printemps arabe touchent la région en 2011, l’Arabie saoudite accuse l’Iran d’attiser les tensions.

Les deux pays s’affrontent à nouveau en 2012 en Syrie. L’Iran soutient le président Bachar al-Assad, tandis que l’Arabie saoudite soutient les rebelles.

Au Yémen, Riyad forme en 2015 une coalition arabe sunnite en faveur du président yéménite, tandis que Téhéran soutient les rebelles houthis chiites.

Bousculade meurtrière à La Mecque

Une bousculade lors du grand pèlerinage annuel à La Mecque en 2015 fait environ 2300 morts parmi les pèlerins étrangers, dont des centaines d’Iraniens.

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, déclare que l’Arabie saoudite ne mérite pas de gérer les sites les plus sacrés de l’islam.

Liens à nouveau rompus

En 2016, l’Arabie saoudite exécute pour « terrorisme » l’éminent religieux chiite Nimr al-Nimr, l’un des fers de lance des manifestations antigouvernementales.

Furieux, des manifestants attaquent les missions diplomatiques saoudiennes en Iran. Riyad rompt à nouveau ses relations avec Téhéran.

Hezbollah

La puissante milice chiite libanaise Hezbollah, alliée de l’Iran, est classée comme « terroriste » en 2016 par les monarchies arabes du Golfe.

En 2017, c’est depuis Riyad que le premier ministre libanais, Saad Hariri, annonce sa démission, invoquant « l’emprise » de l’Iran sur son pays à travers le Hezbollah. Il se rétractera par la suite.

Nucléaire iranien

En 2018, le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, prévient dans une interview à la télévision américaine que si Téhéran se dote de l’arme nucléaire, « nous ferons de même dès que possible ».

Le prince héritier qualifie le guide suprême iranien de « nouvel Hitler ». « Il veut créer son propre projet au Moyen-Orient, un peu comme Hitler qui voulait s’étendre à l’époque », affirme-t-il.

Rétablir les relations

Le 10 mars 2023, l’Arabie saoudite et l’Iran conviennent, sous l’égide de la Chine, de reprendre leurs relations diplomatiques et de rouvrir d’ici mi-mai leurs ambassades.

Le 19, le président iranien Ebrahim Raïssi reçoit une invitation du roi Salmane pour se rendre à Riyad. Le déplacement est prévu après le ramadan, fin avril.

En attendant, les ministres iranien et saoudien des Affaires étrangères, lors d’une rencontre le 6 avril à Pékin, conviennent de travailler ensemble à « la sécurité, la stabilité et la prospérité » au Moyen-Orient. Des délégations saoudienne et iranienne se rendent dans les deux capitales les jours suivants.

C’est dans ce contexte que grandissent les espoirs de paix au Yémen, où se prépare un échange de centaines de prisonniers, et qu’un ministre syrien, allié de Téhéran, est accueilli à Riyad pour la première fois depuis le début de la guerre en Syrie.

L’opposition politique syrienne n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les rebelles armés, eux, ne contrôlent plus que l’enclave d’Idlib, dans le nord, où la Turquie et les États-Unis sont également déployés.

Au cours des dernières années, et avec l’appui crucial de l’armée russe et de l’Iran, le régime syrien a repris le contrôle de la plus grande partie du pays.

Pour l’opposant Mohammad Abdallah, qui dirige le Centre syrien pour la justice et la responsabilité (SJAC), « ce retour d’Assad au sein de la Ligue arabe montre qu’on essaye de ramener la région à la situation d’avant 2011 », lorsque le Printemps arabe avait éclaté.

« Mais cela ne marchera pas, car il reste beaucoup d’injustices à régler : les réfugiés, les déplacés, les disparus et les prisonniers », souligne-t-il.