Israël a promis des représailles sans précédent contre le Hamas. Mais à quel prix ? Et quels sont les défis qui l’attendent ? Le journaliste indépendant Alain Pirot, spécialiste des questions de défense et ancien correspondant à Jérusalem, évoque les enjeux d’une invasion militaire à Gaza.

On parle d’une attaque imminente sur Gaza. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’en termes de calendrier, oui. Il y a un tel esprit de vengeance, de colère, eu égard à l’aspect historique et au nombre de blessés et de morts, que je serais très surpris que l’armée israélienne ne rentre pas dans Gaza. Ce scénario a souvent été mis sur le tapis, mais il a toujours fait peur aux dirigeants israéliens.

Pour quelle raison ?

PHOTO MAHMUD HAMS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Deux hommes dans les décombres à Jabalia, dans la bande de Gaza, mercredi

La manière dont la ville est faite. Le format d’une opération militaire fait qu’il y aurait un nombre de morts très important dans l’armée israélienne. C’est connu. Il y a à Gaza des zones urbaines qui sont incroyablement peuplées avec des rues extrêmement serrées. Ce qui a donné cette telle densité, ce sont les camps de réfugiés palestiniens créés par la guerre de 1948 et qui sont devenus des zones urbaines en dur. Vous allez à Shejaiya ou Jabalia ou dans le quartier d’Al-Shati, ce sont d’anciens camps de tentes qui sont devenus des zones urbaines surpeuplées.

Cette densité est un gros problème pour l’armée israélienne ?

C’est un problème quand une armée moderne doit circuler dans une ville pour attraper un ennemi dissimulé dans des tunnels et que cet ennemi peut frapper à tout moment dans le dos de cette armée, soit avec des snipers, soit avec des embuscades, soit avec des engins explosifs. Si l’armée israélienne bombarde actuellement Gaza comme elle ne l’a jamais fait, c’est pour démanteler par le choc le réseau souterrain qui existe, mais aussi pour créer de vastes zones dégagées pour y poster des points de convergence pour un certain nombre de véhicules. Ils mettent la table.

Quel est leur objectif, selon vous ?

Le premier objectif, c’est de récupérer les otages qui sont dans les sous-sols et dans les caches aménagées par le Hamas. Si à un moment ou à un autre l’armée israélienne a la conviction que ces otages ont été abattus, alors son objectif sera d’aller chercher par le col les combattants et chefs du Hamas au sein du réseau de tunnels. On ne connaît pas le détail de ces tunnels. Mais y entrer, c’est la peur d’avoir des soldats tués par dizaines, pris dans des pièges explosifs, ou des soldats capturés de nouveau. Cela dit, je pense que la population israélienne est prête à assumer le prix de nombreuses pertes, si ces pertes mènent à la destruction de l’organisation Hamas. On ne détruit pas l’organisation terroriste Hamas sans détruire le réseau de tunnels et l’infrastructure souterraine qui existe à Gaza.

Faut-il s’attendre à une destruction en bloc ?

On a dit beaucoup de choses sur l’arrivée du groupe aéronaval américain avec le porte-avions USS Gerald R. Ford. Ce qu’on a moins commenté, c’est l’arrivée de forces spéciales américaines et israéliennes, les SEAL Team Six et Shayetet 13. Je vois se constituer un regroupement de forces d’élite à proximité de la bande de Gaza, qui, je pense, vont être utilisées comme élément moteur de l’opération israélienne. Une fois les zones nettoyées par ces forces spéciales, je pense que l’infanterie israélienne prendra le relais.

Qu’est-ce que l’offensive israélienne impliquera pour les habitants de Gaza ?

Ça impliquera une campagne de bombardements massifs comme on le voit depuis plusieurs jours, avec la certitude que les Gazaouis n’ont pas de refuges. Quand on dit que la population gazaouie est l’otage du Hamas, c’est parce qu’elle est la première victime des bombardements qui résultent de ses campagnes militaires. L’infrastructure souterraine de Gaza ne s’est pas accompagnée de la construction d’abris antiaériens comme on peut en voir en Israël ou en Ukraine. Les civils sont d’autant plus pris en otage que depuis l’annonce de la fermeture de la frontière égyptienne, ils n’ont aucun moyen de sortir. Les Américains travaillent à une sorte d’accord pour appuyer l’évacuation d’un certain nombre d’habitants. Mais je ne suis pas sûr que ce soit géographiquement possible et pas sûr que les Égyptiens voudront ouvrir leurs portes, avec le risque que quand vous évacuez la population gazaouie, des combattants du Hamas se dissimulent dans le flot de réfugiés.

Quelles solutions pour les civils, alors ?

Israël a conseillé aux habitants de quitter les lieux habités et de se rendre dans des endroits non exposés au combat. Le problème, c’est que la bande de Gaza, c’est tout petit ! À moins d’aller sur les plages ou dans le no man’s land, ce qui n’est pas imaginable, je ne vois pas d’autre sortie.

Pourquoi le Hamas a-t-il fait ce qu’il a fait, sachant qu’au final, c’est la population palestinienne qui en paierait le prix ?

Question essentielle. L’objectif du Hamas, c’est la destruction d’Israël. Je n’ai jamais entendu de responsables du Hamas me parler d’un plan de paix. C’est la grosse différence avec le Fatah et l’Autorité palestinienne. Pour le Hamas, un monde sans l’État d’Israël fait partie d’une réalité possible et ce n’est qu’une question de temps. Je ne dirais pas qu’on sacrifie la population. Je dis que le sacrifice de certains habitants gazaouis fait partie d’une équation qui est parfaitement acceptée par les dirigeants du Hamas…