L’« étrange » comparaison du président Joe Biden

(New York) Du bureau Ovale de la Maison-Blanche, Joe Biden a déployé toutes les pompes de la rhétorique jeudi soir lors de son adresse à la nation américaine, décrivant les États-Unis comme « l’arsenal de la démocratie » et « la nation essentielle », expressions empruntées à Franklin D. Roosevelt et à Madeleine Albright.

Il a aussi établi une comparaison de son cru qui a étonné de nombreux téléspectateurs, dont certains experts. « Le Hamas et Poutine représentent des menaces différentes, mais ils ont ceci en commun : ils veulent tous deux anéantir une démocratie voisine », a-t-il martelé.

En entendant cette phrase, le mot « étrange » est venu à l’esprit de Michael Kimmage, historien des relations entre les États-Unis et la Russie, et ancien responsable au département d’État américain dans l’administration de Barack Obama. « Il s’agit d’une comparaison assez étrange à bien des égards, car il existe de nombreuses différences entre le Hamas, qui est un mouvement politique et une entreprise terroriste, et l’État russe, qui est une structure très différente », a-t-il dit au lendemain du discours. « Il se peut que cela n’ait pas beaucoup d’importance dans la mesure où Biden a déjà traité Poutine de voyou et de tueur lorsqu’il faisait campagne pour la présidence. Il a sévèrement critiqué Poutine et la guerre en Ukraine, et ce n’est peut-être qu’un excès rhétorique dans ce continuum. »

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Joe Biden lors de son discours, jeudi soir

Asher Kaufman, directeur de l’Institut Kroc pour les études internationales sur la paix à l’Université Notre Dame, parle de son côté d’une comparaison « historiquement et factuellement problématique » qui doit être analysée d’un point de vue politique.

Biden tente d’obtenir un soutien aux États-Unis pour l’énorme financement qu’il réclame pour Israël et l’Ukraine. Il lie donc les deux. Il veut aussi mêler à ça la question morale de l’Amérique qui protège les démocraties.

Asher Kaufman, directeur de l’Institut Kroc pour les études internationales sur la paix

Le financement réclamé par Joe Biden au Congrès américain s’élève à 61,4 milliards de dollars pour l’Ukraine (dont 30 seraient dépensés en armement) et 14,3 milliards pour Israël (dont 10,6 en armement). Cet argent ferait partie d’une enveloppe de 105,85 milliards qui comprend également 9 millions de dollars pour répondre à des crises humanitaires, y compris dans la bande de Gaza ; 7,4 milliards pour contenir les visées militaires de la Chine ; 13 milliards pour sécuriser la frontière sud.

Si les républicains du Congrès appuient de façon quasi unanime l’aide à Israël, ils sont plus réfractaires au soutien à l’Ukraine. En revanche, les électeurs démocrates sont moins favorables à une aide à Israël, selon un sondage CBS News/YouGov publié jeudi. Une majorité d’entre eux (53 %) sont opposés à l’envoi d’armes et d’approvisionnements à l’État juif, alors qu’une majorité d’électeurs républicains (57 %) y sont favorables.

Vendre une « idée »

Tout en reconnaissant que la comparaison établie par Joe Biden entre le Hamas et Poutine est « imparfaite », Aaron David Miller, ancien négociateur américain au Proche-Orient, lui trouve une certaine pertinence. « Le président cherche un cadre conceptuel pour vendre l’idée que les valeurs et les intérêts américains sont menacés par un certain nombre de développements qui sont liés entre eux », a dit l’ancien diplomate, qui est aujourd’hui rattaché à la Fondation Carnegie pour la paix internationale. « L’un des moyens d’y parvenir est d’identifier des adversaires. Quel est l’inconvénient d’une telle démarche ? L’inconvénient est que l’on associe la question palestinienne, qui est une question légitime qui doit être résolue, à l’agression illégitime de Poutine contre l’Ukraine. Mais ce n’est pas ce que le président a vraiment essayé de faire. Il a parlé du Hamas. »

N’empêche : selon Michael Kimmage, la comparaison de Joe Biden est susceptible de « compliquer les choses plutôt que de les simplifier » à l’extérieur des États-Unis. « Je ne pense pas que le Hamas soit populaire où que ce soit, y compris à Gaza et en Cisjordanie », a dit le professeur et directeur du département d’histoire de l’Université catholique d’Amérique.

Le problème est que dans de nombreuses parties du monde, la position des États-Unis à l’égard d’Israël semble déséquilibrée et partiale.

Michael Kimmage, professeur et directeur du département d’histoire de l’Université catholique d’Amérique.

« Je ne pense pas que les États-Unis s’expriment avec crédibilité sur cette question au niveau international. En ce sens, cette comparaison nuit à la cause de Biden au lieu de l’aider, quelle que soit cette cause », estime l’historien.

Michael Kimmage reconnaît néanmoins à Joe Biden de s’être imposé comme le « dirigeant international le plus visible » depuis l’infiltration du Hamas en Israël, « certainement beaucoup plus que Poutine et Xi Jinping ».

De son côté, Asher Kaufman défend l’appui indéfectible exprimé par Joe Biden à Israël, dont les critiques se font davantage entendre depuis la riposte israélienne, qui pourrait mener sous peu à une invasion de la bande de Gaza. « D’une part, il ne faut pas oublier que Biden a mis Israël en garde contre une réaction excessive, a déclaré le professeur d’histoire à l’Université Notre Dame. D’autre part, en se rangeant du côté d’Israël, Biden tente également de dissuader le Hezbollah et l’Iran de se joindre à cette guerre. Et je pense que c’est une décision intelligente de sa part. Car si le Hezbollah et l’Iran se joignent aux combats, ce sera l’enfer. »