Est-ce que bombarder un hôpital constitue un crime de guerre ? Est-ce qu’installer son quartier général sous un hôpital constitue un crime de guerre ? Camille Marquis Bissonnette, professeure en droit international de l’Université du Québec en Outaouais, répond à ces questions.

L’armée israélienne a pris depuis vendredi l’hôpital al-Chifa, situé dans la ville de Gaza, pour cible, sous prétexte que le Hamas se dissimule dans ses sous-sols. Est-ce un crime de guerre ?

C’est un oui sans équivoque. En vertu du droit international humanitaire, issu principalement des conventions de Genève de 1949 et de ses protocoles additionnels de 1977, les hôpitaux, comme toutes les installations civiles, sont des lieux protégés contre les attaques directes. Le personnel médical, les blessés et les malades sont aussi protégés. Dans le cas d’attaques dirigées contre des objectifs militaires, le droit international humanitaire peut toutefois admettre des dommages collatéraux, pour autant qu’ils soient proportionnels à l’avantage militaire obtenu.

Évidemment, il n’y a pas de calcul absolu pour déterminer si une attaque est proportionnelle. Si, par exemple, il y avait une base militaire à côté d’un hôpital et qu’une partie du stationnement de l’hôpital était touché et faisait quelques morts chez les civils, mais qu’en revanche la base militaire avait été complètement détruite, ainsi que toutes les armes qu’elle contenait, et que des dizaines de militaires avaient été tués, ça pourrait être une attaque légale qui, par conséquent, ne serait pas un crime de guerre.

Est-ce le cas des attaques d’Israël, qui prétend bombarder les infrastructures du Hamas situées sous l’hôpital ?

Non, je pense qu’ici on est absolument face à un crime de guerre. S’il y a des attaques directes contre un hôpital, si en plus on encercle l’hôpital en empêchant les gens d’en sortir et d’éventuels ravitaillements d’y entrer, on parle d’une violation grave du droit international humanitaire, et donc d’un crime de guerre. Si l’objectif militaire est dans ou sous l’hôpital, il faut qu’Israël trouve une façon de mener une attaque contre cet objectif militaire qui respecte le principe de proportionnalité.

Selon la lettre du droit international humanitaire, dès qu’il apparaît qu’une attaque causera des pertes civiles excessives par rapport à l’avantage militaire attendu, elle doit être annulée et repensée. Le fait d’assiéger un hôpital et de s’en prendre directement à lui, d’attaquer ou de détenir ses patients et son personnel médical est un crime de guerre.

Les États-Unis ont aussi accusé le Hamas de crime de guerre. Est-ce qu’installer son quartier général sous un hôpital, sachant que l’on met en péril la vie du personnel, des blessés et des malades, constitue une violation du droit international ?

S’il est avéré que le Hamas a effectivement une réserve d’armes dans l’enceinte de l’hôpital ou qu’il a un quartier général sous l’hôpital, ça pourrait aussi constituer un crime de guerre. Ma réponse ici est moins tranchée, parce que la règle qui s’applique est moins absolue. Ce que le droit international humanitaire dit, c’est que « dans toute la mesure de ce qui est pratiquement possible », les parties au conflit doivent éviter de placer des objectifs militaires dans des zones densément peuplées, proche ou dans des lieux protégés comme les installations médicales. Donc le Hamas, ici, est dans l’obligation de faire tout ce qui est pratiquement possible pour éviter que ses objectifs militaires soient dans des hôpitaux ou des zones densément peuplées.

Le problème, c’est que Gaza, dans son entièreté, est une zone densément peuplée. Par contre, s’il a effectivement placé des objectifs militaires dans l’hôpital, c’est probablement pour délibérément les camoufler, et ça met directement en jeu la sécurité de l’hôpital. Alors je dirais oui, il y a probablement violation du droit international par le Hamas. Mais ça n’enlève rien à la gravité du geste d’Israël, qui n’a pas plus le droit d’assiéger l’hôpital et de cibler les personnes et le matériel médical qui s’y trouvent.

Est-ce que des suites pénales sont possibles, dans un cas comme dans l’autre ?

Il y a différentes réponses à cela. Si des membres de la branche militaire du Hamas sont capturés par Israël, il va pouvoir les juger devant ses tribunaux nationaux pour les crimes de guerre présumément commis. S’il y a des gens du Hamas ou de l’armée israélienne présumément impliqués dans des crimes de guerre qui se retrouvent sur le territoire d’autres États, ces États pourraient avoir compétence pour les juger. Enfin, il y a surtout la Cour pénale internationale (CPI) qui peut exercer sa compétence sur tous les crimes commis à Gaza depuis 2014, d’un côté comme de l’autre.

Le procureur de la CPI, Karim A. A. Khan, a déjà annoncé, le 29 octobre, qu’il avait commencé à récolter des preuves d’éventuels crimes de guerre à Gaza et en Israël. La CPI, comme les tribunaux nationaux, établit la responsabilité pénale des individus. Ce ne seront pas Israël ou le Hamas qui seront jugés, mais certains individus, sur lesquels la Cour pénale internationale va réussir à mettre la main. Mais le plus urgent, c’est d’arrêter les hostilités, d’où l’importance de sensibiliser et de faire bouger les gouvernements pour que cette guerre s’arrête. La justice viendra après…