(Ottawa) Maintenant qu’il a appuyé un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, le Canada doit faire preuve de cohérence et geler ses exportations de matériel militaire à l’État hébreu, plaide un organisme qui a publié jeudi une étude sur les risques de ces ventes.

« Nous accueillons favorablement le vote enregistré cette semaine par le Canada, mais il doit s’accompagner de gestes concrets – l’endiguement du flot de livraison de systèmes d’armes à Israël », expose le chercheur Kelsey Gallagher, de Project Ploughshares.

Car la « conduite » des forces armées israéliennes depuis le début de l’opération « Épées de fer », qui a été lancée en riposte aux attentats perpétrés par le Hamas, porte atteinte au droit international, affirme l’auteur du document en entrevue.

Le Canada, en tant qu’État partie du Traité sur le commerce des armes, ne devrait pas livrer d’équipement militaire à un autre État s’il y a un « risque sérieux » que celui-ci l’utilise pour commettre des violations des droits de la personne.

L’adoption, mardi dernier, d’une résolution non contraignante de l’Assemblée générale des Nations unies réclamant un « cessez-le-feu humanitaire immédiat » n’a pas semblé émouvoir le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou.

Au sortir d’une rencontre avec le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Jake Sullivan, il a déclaré sur X que les forces israéliennes étaient « plus déterminées que jamais à continuer de se battre » jusqu’à « la victoire totale ».

Flou sur les exportations

Une précision importante avant d’aller plus loin : on ignore si le gouvernement canadien a exporté du matériel militaire en Israël depuis le début de l’offensive, le 7 octobre dernier. Affaires mondiales Canada publie ses données une fois par année, et celles de 2023 ne sont pas disponibles.

En soirée, jeudi, le Ministère n’avait pas répondu aux questions de La Presse à ce sujet.

Le Nouveau Parti démocratique a réclamé il y a plus d’un mois la fin des ventes d’armes à Israël, d’autant plus que les fonctionnaires ne sont « pas en mesure de confirmer » si du matériel canadien a été utilisé par l’État hébreu.

« Les Canadiens méritent de connaître le degré de complicité du Canada dans ce conflit », a écrit le 1er novembre l’entièreté du caucus néo-démocrate dans une lettre envoyée à Justin Trudeau.

La position est semblable chez Amnistie internationale : on réclame « un embargo total et immédiat du Canada sur l’exportation d’armes à Israël » jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de risque que les armes soient utilisées pour commettre des violations des droits de la personne.

Le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, ne loge pas à la même enseigne. « Nous ne demandons pas au Canada de cesser ses exportations d’armes vers Israël puisque nous reconnaissons bien sûr à Israël le droit de se défendre », a-t-il exprimé.

Le gouvernement canadien « doit toutefois obtenir la garantie que ces armes ne soient pas utilisées contre des civils », a-t-il tenu à préciser dans une déclaration transmise à La Presse. Le Parti conservateur n’a pas répondu à nos questions.

Une échappatoire américaine ?

Dans son étude intitulée Fanning the Flames: The grave risk of Canada’s arms exports to Israel (« Attiser les flammes – Le grave risque que posent les exportations d’armes du Canada en Israël »), le chercheur Kelsey Gallagher note que les livraisons ont augmenté de façon considérable depuis 2015, atteignant 21 millions en 2022.

On ignore de quel type de matériel il s’agit exactement, mais les principales livraisons se retrouvent dans trois catégories : bombes, missiles et autres, composants pour aéronefs et, enfin, matériel électronique et « engins spatiaux », d’après le rapport.

GRAPHIQUE FOURNI PAR PROJECT PLOUGHSHARES

Valeur annuelle des exportations de matériel militaire du Canada en Israël

Et ce n’est peut-être que la pointe de l’iceberg, puisque « certains composants fabriqués au Canada et transférés aux États-Unis, notamment des composants intégrés dans les F-35, sont ultimement livrés aux forces israéliennes », y lit-on aussi.

Comme « la vaste majorité des exportations militaires canadiennes vers les États-Unis ne sont ni réglementées ni déclarés, le volume et la valeur exacts de ces exportations restent inconnus », écrit le chercheur de l’organisation pacifiste.

« Et ça, c’est vraiment troublant, quand on voit les bombardements aériens de l’armée israélienne [il y en aurait eu plus de 22 000, selon Tsahal] dans Gaza », s’inquiète Kelsey Gallagher à l’autre bout du fil.

S’il veut en avoir le cœur net, le gouvernement canadien peut lancer un examen des licences d’exportation de matériel militaire. Il l’a fait dans le cas des véhicules blindés légers vendus à l’Arabie saoudite, en 2018.

Les fonctionnaires n’avaient toutefois pas été en mesure de déterminer avec certitude si les véhicules construits en Ontario avaient été utilisés par le régime saoudien pour réprimer la minorité chiite dans l’est du pays ou au Yémen.