Ils se prénomment Motaz, Bisan, Plestia et Ahmed. Ils sont palestiniens et ils sont journalistes. Depuis le début du mois d’octobre, sur les réseaux sociaux, ces reporters (et plusieurs autres comme eux) documentent la guerre sur le terrain, dans la bande de Gaza. Suivis par des millions d’internautes dans le monde, particulièrement par des jeunes sur Instagram et TikTok, ils sont les témoins directs des conséquences du conflit.

« Les réseaux sociaux servent à mieux documenter la guerre, au sens où on voit les dégâts, on voit des hommes tirer, se faire tuer, on voit les conséquences des bombardements », constate Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et de la communication de l’Université Panthéon-Assas de Paris.

On assiste à une façon assez inédite de documenter en direct et quotidiennement, au-delà de ce que peuvent faire les médias, qui est sans commune mesure avec ce qu’on a pu connaître dans d’autres conflits, même si on sentait que ce phénomène montait en puissance.

Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et de la communication de l’Université Panthéon-Assas de Paris

On a pu voir avec la guerre en Ukraine ce que les réseaux sociaux permettent en temps de guerre : à partir d’hôpitaux de fortune ou de leurs sous-sols devenus des abris, de leurs villes saccagées, de jeunes Ukrainiens ont partagé des images de leur quotidien depuis l’invasion russe. Dans la bande de Gaza, le même phénomène s’opère, à plus large échelle peut-être, tant pour ce qui est de la quantité de contenu partagé que du nombre de personnes qui accèdent à ces images sur leurs écrans.

  • Homme de l’année du magazine GQ Middle East, le photojournaliste Motaz Azaiza est suivi par 17 millions d’abonnés sur Instagram.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU COMPTE INSTAGRAM DE MOTAZ AZAIZA

    Homme de l’année du magazine GQ Middle East, le photojournaliste Motaz Azaiza est suivi par 17 millions d’abonnés sur Instagram.

  • Une publication de Motaz Azaiza

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    Une publication de Motaz Azaiza

  • Une publication de Motaz Azaiza

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Une des preuves d’un phénomène sans précédent : le jeune photojournaliste Motaz Azaiza, qui couvre les bombardements israéliens sur Gaza depuis le début du mois d’octobre, a été nommé Homme de l’année par le magazine GQ Middle East. Le reporter de 24 ans, que peu de gens connaissaient il y a quelques semaines à peine, a maintenant 17 millions d’abonnés sur Instagram. Comme Plestia Alaqad (4,4 millions d’abonnés) ou Bisan Owda (3,4 millions d’abonnés), il publie des vidéos et des photos en temps réel, captées de très près.

Le contenu de Motaz Azaiza est particulièrement brut. Les images de corps morts et mutilés, d’enfants grièvement blessés, de parents endeuillés, de destruction généralisée : rien n’est censuré. « Ce qui retient l’attention des usagers des réseaux sociaux, ce sont les images explicites de violence et les propos de haine – la haine est un moteur plus puissant que la bienveillance dans l’économie de l’attention des réseaux sociaux », affirme le professeur Serge Proulx, de l’École des médias de l’UQAM.

Dans l’article de GQ sur Motaz Azaiza, on justifie la décision de l’avoir mis en première page par ces mots : « Au cours des dernières semaines, le reporter photo palestinien est devenu une personnalité mondialement connue, l’incarnation de la résilience et de l’espoir pour les gens de Gaza et du reste du monde. » La journaliste britannique d’origine irakienne Monia Chalabia a notamment affirmé que « le travail de Motaz et d’autres journalistes palestiniens est d’une puissance prodigieuse : Motaz nous donne la force de continuer ».

Le 23 janvier, Motaz Azaiza a pris la décision d’évacuer la bande de Gaza, annonçant sur Instagram à ses 18,5 millions d’abonnées, les larmes aux yeux, que c’était « la dernière fois [qu’ils le voyaient] avec cette lourde veste qui pue », faisant allusion à son gilet pare-balles l’identifiant comme un membre des médias.

De nombreuses images provenant de Gaza sont ainsi relayées par ces journalistes palestiniens, qui commentent parfois en direct la situation qu’ils vivent et observent.

Dans le contexte actuel, plusieurs règles journalistiques, notamment celle de la neutralité, ne s’appliquent plus de la même façon, selon Arnaud Mercier. « La neutralité, elle est presque impossible. Parce que là, on parle des journalistes encore vivants. Plusieurs dizaines sont morts, à l’heure actuelle », affirme-t-il.

Durant des reportages sur Al-Jazeera, par exemple, « on a vu des journalistes qui s’effondrent en larmes à l’écran », dit l’expert. Sur les réseaux sociaux, même si les images parlent d’elles-mêmes, on constate le désespoir et la détresse des journalistes, comme des civils, qui documentent les attaques.

À partir du moment où Israël bombarde les populations civiles, sachant que les journalistes font partie de cette population, qu’ils ne sont pas plus protégés que les autres, ils ne sont pas en position d’être des observateurs qui pourraient garder une forme de neutralité en observant ce qui arrive entre deux belligérants. Ils subissent eux-mêmes, ils sont eux-mêmes des cibles. Ils sont forcément effondrés et en colère.

Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et de la communication de l’Université Panthéon-Assas de Paris

Le journalisme et les réseaux sociaux

Lorsque les lumières se sont éteintes sur Gaza il y a quelques semaines, que l’accès à l’internet a été interrompu pendant plus d’une journée, il s’est ajouté à la panique d’une offensive accrue la crainte de n’avoir plus aucun œil sur le terrain. Sans connexion, les publications de Motaz, Plestia et Bisan ont cessé. Alors que l’armée israélienne s’apprêtait à marcher sur la bande de Gaza, de nombreux internautes n’ont plus eu accès à leur principale source d’information directe sur ce qui se déroulait sur place et les publications témoignant de l’inquiétude se sont multipliées.

  • La journaliste palestinienne Bisan Owda offre une fenêtre sur Gaza à ses 3,4 millions d’abonnés sur Instagram.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU COMPTE INSTAGRAM DE BISAN OWDA

    La journaliste palestinienne Bisan Owda offre une fenêtre sur Gaza à ses 3,4 millions d’abonnés sur Instagram.

  • La journaliste palestinienne Bisan Owda offre une fenêtre sur la situation catastrophique qui prévaut à Gaza à ses 3,4 millions d’abonnés sur Instagram.

    CAPTURE D’ÉCRAN DU COMPTE INSTAGRAM DE BISAN OWDA

    La journaliste palestinienne Bisan Owda offre une fenêtre sur la situation catastrophique qui prévaut à Gaza à ses 3,4 millions d’abonnés sur Instagram.

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L’accès à ces informations relayées en ligne demeure limité en contexte de guerre. « Comme l’électricité manque et que les réseaux satellitaires sont détruits puis remis en fonction, on en a sans doute encore moins que ce qu’on pourrait avoir si les Gazaouis pouvaient librement, comme en Ukraine, filmer tout ce qu’ils voient », dit Arnaud Mercier.

Fait important à noter, la situation actuelle ne permet pas un travail journalistique traditionnel aussi libre que dans d’autres contextes de guerre. Le New York Times a par exemple rapporté, fin novembre, que ses rares incursions sur le terrain, dans la bande de Gaza, étaient guidées par les autorités israéliennes. « Pour entrer à Gaza, le journaliste du New York Times a été obligé de rester avec les troupes israéliennes pendant toute la durée de sa visite et a accepté de ne photographier ni l’intérieur du véhicule dans lequel les journalistes voyageaient ni un indice qui aurait permis d’identifier l’emplacement militaire que les journalistes ont visité », a rapporté le New York Times, début novembre.

« Le journalisme professionnel, qui s’appuie sur les faits et l’objectivité journalistique, est miné par le haut » par les acteurs du « parajournalisme » et est miné en même temps « par le bas » par les pratiques amateurs de production et de diffusion d’information en ligne « désaffiliée », où l’information et l’opinion sont mélangées », observe Serge Proulx.

Il note également que les individus qui produisent ce genre d’information « non journalistique » ne sont soumis à aucune règle professionnelle, à aucune norme déontologique.

« Je ne suis pas convaincu que l’ensemble du public fasse une grosse différence entre le contenu sur les réseaux sociaux [des journalistes et des civils] et l’information des médias traditionnels, lance quant à lui Arnaud Mercier. Ce qui leur importe, c’est la force des images et de ce qui semble attester d’une authenticité. Qu’elles soient prises par des amateurs, des influenceurs ou des journalistes, ça ne change pas le fait qu’on juge par nous-mêmes des images. »

« Pour la partie textuelle, qui analyse et met les choses en perspective, c’est différent, ajoute-t-il. Mais pour la partie documentation des effets de la guerre, il n’y a pas forcément de hiérarchisation chez une bonne partie du public entre ceux qui ont une carte de presse officielle et ceux qui documentent en “amateurs ». »