Bien avant l’attaque de drone qui a tué trois soldats américains en Jordanie dimanche, l’administration Biden réfléchissait – en prévision d’un jour comme aujourd’hui – à une réponse qui dissuaderait les vassaux de l’Iran et enverrait un message ferme à Téhéran.

Mais toutes les options sont insatisfaisantes ou très risquées.

Le président Joe Biden pourrait ordonner des frappes sur les milices pro-Iran, ce qui serait une escalade majeure par rapport aux ripostes ciblées menées ces dernières semaines en Syrie, en Irak et au Yémen. Jusqu’à présent, les ripostes américaines ont dégradé les capacités des groupes soutenus par l’Iran, qui ont mené plus de 160 attaques. Mais comme l’a noté M. Biden lui-même il y a dix jours, elles n’ont pas dissuadé ces groupes.

Frappes en territoire iranien ?

M. Biden pourrait décider d’attaquer à la source leur approvisionnement en drones et en missiles, y compris en territoire iranien, ce qui est beaucoup plus risqué. Les premières cibles pourraient être les Gardiens de la révolution iraniens, dont beaucoup sont établis en Syrie et en Irak. Ces frappes pourraient ouvrir un nouveau front dans la guerre, contre un adversaire bien plus puissant, l’Iran, et l’inciter à accélérer son programme nucléaire.

Bref, cela obligerait M. Biden à faire tout ce qu’il a essayé d’éviter jusqu’à présent.

Il existe des options intermédiaires, disent des responsables. Des messages aux Iraniens pourraient accompagner des frappes, leur intimant d’encaisser sans escalader le conflit. Cela a déjà marché, notamment après qu’un drone américain eut tué au Liban Qassem Soleimani, le chef de la Force Al-Qods, en 2020. Comme aujourd’hui, on craignait alors une guerre totale au Moyen-Orient opposant les États-Unis et leurs alliés à l’Iran et à ses vassaux. Les deux parties ont reculé.

PHOTO MOHAMED AZAKIR, ARCHIVES REUTERS

Une femme brandit une image du général Qassem Soleimani, haut commandant militaire iranien, lors d’une cérémonie le 3 janvier 2024 marquant le quatrième anniversaire de sa mort à la suite d’une attaque américaine, dans la banlieue sud de Beyrouth, au Liban.

Mais les pressions politiques et les calculs militaires dans la poudrière moyen-orientale ne sont plus les mêmes qu’il y a quatre ans, même si l’Iran semble ne pas souhaiter non plus s’engager directement dans la guerre, alors que son économie va mal.

« Il n’y a pas de bons choix, mais la mort et les blessures de tant de soldats américains exigent une riposte forte », affirme James Stavridis, un amiral à la retraite aujourd’hui à l’emploi du groupe Carlyle, une société d’investissement.

Cela justifie un dernier avertissement à l’Iran, lié à une campagne aérienne de plusieurs jours contre tous ses vassaux. Le Pentagone devrait élaborer des options visant directement les usines d’armes, les navires et les systèmes de renseignement iraniens, au cas où les mollahs aient envie d’un autre round. Une cyberattaque forte est une autre option viable, soit seule, soit combinée à des frappes cinétiques.

James Stavridis, amiral à la retraite

L’Iran est un vieil adversaire – depuis huit présidences –, et les options ne manquent pas. Les États-Unis ont identifié les principales usines de drones et leurs fournisseurs étrangers, qui alimentent les Russes en Ukraine et fournissent le Hezbollah, les houthis et d’autres groupes pro-Iran. (On ne sait pas encore si le ou les drones qui ont tué les Américains en Jordanie dimanche étaient de fabrication iranienne, mais c’est l’hypothèse américaine.)

PHOTO ARMÉE IRANIENNE, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Cette photo diffusée par l’armée iranienne montre des drones produits par l’industrie militaire iranienne et fournis à diverses milices au Moyen-Orient et à la Russie.

Les forces américaines ont planifié des frappes sur les bases aériennes et les sites de missiles iraniens en cas de conflit Iran-Israël. Un plan détaillé de cyberattaque contre l’Iran – nom de code « Nitro Zeus » – visait à neutraliser les défenses aériennes de l’Iran, ses communications et l’essentiel de son réseau électrique. Ce plan a été remisé en 2015 après que l’Iran et six autres nations ont conclu un accord sur le nucléaire. Israël s’est ostensiblement entraîné à des bombardements, simulant des attaques sur le site d’enrichissement nucléaire de Natanz et son site alternatif souterrain, appelé Fordow.

Risque d’escalade

Mais personne n’a appuyé sur la détente : ni les États-Unis ni l’Iran ne voyaient comment sortir de la spirale de frappes et de contre-attaques en cas de conflit total. Et si les responsables américains étaient certains de l’emporter, les dommages causés aux alliés des États-Unis, en particulier à Israël, étaient difficiles à imaginer. Même le président Donald Trump a abandonné un projet d’attaque.

Aucune de ces considérations ne s’est reflétée dimanche dans les critiques des républicains à l’endroit de M. Biden, qui le jugent trop modéré jusqu’à présent dans sa réponse. Le chef de la minorité au Sénat, Mitch McConnell, exige d’infliger des « coûts paralysants […] non seulement aux vassaux terroristes en première ligne, mais aussi à leurs commanditaires iraniens qui portent le sang américain comme un badge d’honneur ». Le sénateur texan John Cornyn a demandé des frappes contre les Gardiens de la révolution, l’élite militaire (et responsable du programme nucléaire).

PHOTO MARINE AMÉRICAINE, FOURNIE PAR REUTERS

Le plus gros porte-avions au monde, le USS Gerald R. Ford, photographié lors d’un ravitaillement en kérosène en mer en octobre dernier. Le Ford croise actuellement à distance de frappe du Yémen et de l’Iran.

« Il est peut-être temps de tuer un autre général iranien ? », a écrit sur les réseaux sociaux le représentant Daniel Crenshaw, un autre Texan, évoquant l’attaque contre Soleimani. « Ça pourrait envoyer le bon message. » M. Crenshaw a combattu en Irak et en Afghanistan, où une explosion lui a fait perdre un œil.

De tels propos ont un attrait politique indéniable, surtout en cette année électorale, et M. Trump ne s’est pas gêné – sans toutefois mentionner ses propres hésitations à tuer des Iraniens et à envenimer le conflit quand il était au pouvoir. Cela étant, même les collaborateurs de Joe Biden reconnaissent que ce qu’ils ont fait jusqu’à présent n’a pas suffi à « restaurer la dissuasion », pour reprendre une expression du jargon militaire.

Mais qui faut-il dissuader ? Ce n’est pas clair. Selon le renseignement américain, l’Iran fournit des armes, des fonds et parfois des renseignements à ses vassaux, mais rien ne prouve qu’il dicte tous les coups : peut-être les Iraniens ignoraient-ils qu’une milice appelée « Axe de la résistance » – qui a revendiqué l’attaque – allait attaquer les Américains en Jordanie.

Lundi à Téhéran, le porte-parole aux Affaires étrangères Nasser Kanaani a affirmé que les milices « ne reçoivent pas d’ordres » de l’Iran et agissent de manière indépendante. C’est un argument commode, qui donne à l’Iran un certain niveau de dénégation.

Mais la rapidité avec laquelle l’Iran a voulu se distancier de la frappe au lieu de la revendiquer montre qu’agir en sous-main par milices interposées a aussi des inconvénients : l’Iran sera blâmé pour tout ce que font ses vassaux, même ce qu’il juge trop provocateur.

« C’est le risque de la guerre par procuration que mène l’Iran », dit Ray Takeyh, spécialiste de l’Iran au Council on Foreign Relations. « C’est un grand succès, mais seulement si les représailles visent juste les vassaux et non pas le territoire iranien. Aujourd’hui, on risque vraiment que la situation dérape encore plus dans la région ».

Et c’est là le défi de M. Biden aujourd’hui : en pleine campagne électorale, avec deux guerres qui font rage, il doit juguler l’Iran et ses attaques par procuration sur des Américains, sans déclencher une guerre de plus.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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