(Tyr, Liban) Les bombardements quotidiens de part et d’autre de la frontière libanaise entre l’armée israélienne et le Hezbollah ont forcé quelque 76 000 habitants du Sud libanais à fuir la région. À Tyr, les déplacés désespèrent de retourner chez eux, après plus de 115 jours d’une guerre qui ne donne pas de signes d’essoufflement.

Dans la petite salle défraîchie d’une école de Tyr, dans le sud du Liban, Mustapha, un fermier de 47 ans, fait défiler des photos sur son téléphone portable. Des souvenirs de jours heureux en famille, en compagnie de son chien et de ses quatre chevaux à Beit Lif, un village situé à quelques kilomètres de la frontière israélienne. Sur les photos suivantes, ils sont tous morts. « L’un d’eux était un pur sang, explique-t-il en allumant une énième cigarette. Le chien était très attaché à Ali. Il reconnaissait toujours ses pas dans les escaliers et accourait en jappant », ajoute-t-il en souriant tristement à son fils, âgé d’une dizaine d’années.

PHOTO HUGO LAUTISSIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Des enfants jouent dans la cour d’une école publique transformée en centre d’accueil pour déplacés, à Tyr.

Mustapha, sa femme et leurs cinq enfants ont quitté Beit Lif, il y a deux mois, quand les bombardements israéliens se sont intensifiés aux portes du village. Ils ont trouvé refuge dans une école publique transformée en centre d’accueil pour déplacés dans la ville côtière de Tyr, jusqu’ici épargnée par les bombardements. Il y a quelques semaines, Mustapha a profité d’une accalmie dans les combats pour faire l’aller-retour chez lui et constater l’ampleur des dégâts.

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Originaire du village de Beit Lif, situé près de la frontière israélienne, Mustafa, 47 ans, est réfugié dans une école de Tyr depuis deux mois.

Un bombardement a endommagé notre maison et tué nos animaux. La ferme et les terrains agricoles ont aussi été touchés par des bombardements au phosphore. Il me faudra au moins 10 ans avant de retrouver ma production d’avant-guerre.

Mustapha, fermier de Beit Lif réfugié à Tyr

Au lendemain de l’attaque du Hamas en Israël, le 7 octobre dernier, les affrontements ont commencé dans le sud du Liban, entre les miliciens chiites du Hezbollah et l’armée israélienne, poussant les habitants de la région à se réfugier dans les localités plus au nord. Au total, plus de 76 000 personnes du Sud ont été déplacées au Liban, selon les chiffres rapportés par l’Organisation internationale pour les migrations.

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L’unité de gestion des catastrophes de la Fédération des municipalités de Tyr est responsable de l’aide d’urgence destinée aux déplacés.

Dans les locaux en face de l’école, l’unité de gestion des catastrophes de la Fédération des municipalités de Tyr, fondée en 2010, pilote l’aide d’urgence à destination des déplacés. Sur un grand écran, des graphiques indiquent en temps réel le nombre de déplacés, leur sexe, leur catégorie d’âge ainsi qu’une carte des combats en cours dans le sud du pays.

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Hassan Hammoud, vice-président de la municipalité de Tyr et directeur de l’unité de gestion des catastrophes

« On approche des 25 000 enregistrements d’habitants déplacés dans la région depuis le début de la guerre », pointe tristement Hassan Hammoud, vice-président de la municipalité de Tyr qui dirige l’unité de gestion des catastrophes.

Autour du bureau où s’entassent téléphones fixes, ordinateurs et dossiers, une dizaine de volontaires reçoivent des déplacés, les enregistrent, avant de leur confier un numéro qui leur permettra de retirer leur aide alimentaire. « Tout est tracé en temps réel. Si un matelas est envoyé par une ONG et réceptionné par un bénéficiaire ici, c’est inscrit », se félicite Hassan Hammoud, qui sait que les soupçons de détournement planent toujours au-dessus des institutions publiques libanaises.

Dans les cinq abris qu’il supervise, environ 1500 personnes s’entassent dans les écoles et bâtiments publics mis à disposition. Ce sont souvent les plus démunis, ceux qui n’ont pas de famille prête à les accueillir. La grande majorité des autres déplacés ont trouvé refuge chez des amis et de la famille dans la région ou à Beyrouth. « La tradition d’entraide dans le Sud libanais est intacte, mais ce n’est pas une situation tenable sur le long terme, déplore Hassan Hammoud. Hélas ! Vivre dans le sud du Liban, c’est vivre avec l’idée qu’Israël peut attaquer à tout moment. »

De nombreux observateurs avaient parié sur une guerre courte et intense, comme en 2006. Le dernier affrontement entre le Hezbollah et Israël avait duré 33 jours et fait 1300 morts du côté libanais. Celle-ci dure depuis plus de 100 jours et les habitants peinent à voir une issue prochaine.

Au-delà de février : plus rien

Dans un hangar attenant à l’école, des cartons circulent de mains en mains sous le regard d’Ali Salam, de l’ONG libanaise Nabaa. « Chaque carton contient assez de vivres pour une famille de quatre ou cinq personnes pendant un mois », explique-t-il. L’aide est destinée aux déplacés qui ont trouvé refuge chez des amis ou de la famille. « On se concentre sur ces gens qui passent sous les radars de la plupart des ONG. Pour eux aussi, la situation est critique. Ce sont des fermiers pour la majorité d’entre eux et ils n’ont plus de moyens de subsistance depuis le début de la guerre. » Leurs hôtes sont en difficulté aussi à cause de la crise économique.

Sur l’un des cartons, la date « novembre-février » est inscrite.

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Ali Salam, de l’ONG libanaise Nabaa, vérifie l’aide alimentaire à destination des déplacés.

Au-delà de cette date, il n’y a pas de budget prévu. Si cette guerre doit durer, ce qui semble être le cas, nous ne serons plus en mesure d’aider les déplacés.

Ali Salam, de l’ONG libanaise Nabaa

L’un de ses confrères de l’ONG Johanniter abonde. Depuis la frappe sur Beyrouth, le 2 janvier, la peur que le conflit s’étende à d’autres régions du Liban grandit. « On s’attend à ce que de nouveaux déplacés de guerre arrivent. »

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Nada n’en est pas à sa première guerre avec Israël.

Dans la pièce voisine de celle de la famille de Mustapha, Hanna, la quarantaine, prépare un café à sa mère, Nada, alors qu’une pluie fine tambourine à la fenêtre. Elles sont originaires de Dharya, un village du Sud avec vue sur Israël, seulement séparé par un large mur.

Elles ont quitté le village dès le 8 octobre, au son des premiers bombardements, n’emportant avec elles que le strict nécessaire. « À présent, c’est l’hiver et nous n’avons aucun vêtement chaud », explique Hanna derrière ses larges lunettes rondes.

Sa mère, âgée, fait le compte des médicaments qu’il lui reste pour soulager ses problèmes cardiaques. La moindre visite chez le médecin coûte 50 $, une somme colossale pour cette famille privée de revenu depuis octobre.

Nada n’en est pas à sa première épreuve. Elle a connu l’occupation israélienne du sud du Liban entre 1978 et 2000, puis la guerre de 2006. Chaque fois, elle est retournée au village. « La seule chose que je veux, c’est pouvoir rentrer chez moi, retrouver ma maison et mes oliviers. »