Israël restait mardi sous une forte pression internationale pour renoncer ou au moins reporter une offensive sur Rafah, dernier refuge pour plus d’un million de Palestiniens dans la bande de Gaza.

Israël a libéré lundi deux de ses otages détenus par le Hamas à Rafah, à la frontière avec l’Égypte, lors d’une opération commando nocturne accompagnée de bombardements qui ont fait une centaine de morts, selon les autorités du mouvement islamiste palestinien, au pouvoir à Gaza depuis 2007.

Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a récemment ordonné à son armée de préparer une offensive sur Rafah, où sont massés 1,4 million de Palestiniens selon l’ONU, soit plus de la moitié de la population totale du territoire, la plupart ayant fui la guerre qui fait rage depuis quatre mois entre Israël et le Hamas.  

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Rafah, le 12 février 2024

Il a répété lundi sa détermination à poursuivre « la pression militaire jusqu’à la victoire complète » sur le mouvement islamiste palestinien, dont Rafah est le « dernier bastion », pour libérer « tous nos otages ».

Les États-Unis, principal allié d’Israël, insistent sur leur opposition à une opération à grande échelle sans solution pour les civils coincés à la frontière fermée avec l’Égypte à l’extrême sud du territoire.

Le président américain Joe Biden a réclamé, de la part des forces israéliennes, un plan « crédible » pour épargner la population palestinienne, en préalable à toute offensive, lors d’une rencontre lundi à la Maison-Blanche avec le roi de Jordanie Abdallah II.

Le monarque, dont le pays est le deuxième État arabe à avoir signé un traité de paix avec Israël, en 1994, est allé plus loin.

« Nous ne pouvons pas nous permettre une attaque israélienne sur Rafah », où la situation humanitaire est déjà « insupportable », a dit Abdallah II, qui a également appelé à « un cessez-le-feu durable immédiatement » dans la bande de Gaza.

« Les États-Unis travaillent à un accord de libération des otages entre Israël et le Hamas, qui amènerait immédiatement une période de calme d’au moins six semaines à Gaza », a pour sa part indiqué le président américain, dont l’administration rejette toujours une trêve inconditionnelle et à durée indéterminée.  

Cette période pourrait déboucher sur « quelque chose de plus durable », a ajouté Joe Biden.

128 jours de captivité

La guerre a été déclenchée le 7 octobre par une attaque sans précédent de commandos du Hamas infiltrés depuis Gaza dans le sud d’Israël, qui a entraîné la mort de plus de 1160 personnes, en majorité des civils tués ce jour-là, selon un décompte de l’AFP réalisé à partir de données officielles israéliennes.  

En représailles, Israël a juré de « détruire » le mouvement islamiste qu’il considère comme une organisation « terroriste », de même que les États-Unis et l’Union européenne.    

L’offensive israélienne a fait 28 340 morts dans la bande de Gaza, en grande majorité des civils, selon le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas.

Le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant a qualifié de « tournant » dans la guerre l’opération qui a permis la libération de Fernando Marman, 60 ans, et Luis Har, 70 ans, deux Israélo-Argentins enlevés le 7 octobre dans le kibboutz Nir Yitzhak, y voyant la preuve que le Hamas était « vulnérable ».

L’état des deux ex-otages est stable, mais après 128 jours de captivité, ils montrent des « signes évidents » de « manque de soins médicaux », selon une porte-parole de l’hôpital proche de Tel-Aviv où ils ont été admis et ont retrouvé leurs proches.

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Luis Har (à gauche) et Fernando Marman (2e à droite) en compagnie de membres de leurs familles à l’hôpital Sheba de Ramat Gan, près de Tel-Aviv

« Nous sommes heureux aujourd’hui, mais nous n’avons pas gagné. Ce n’est qu’une étape de plus vers le retour à la maison » des otages détenus à Gaza, a confié Idan Bejerano, le gendre de Luis Har, faisant écho aux familles qui pressent le gouvernement d’accepter un nouvel accord de trêve avec le Hamas.

Selon Israël, 130 otages sont toujours détenus à Gaza, dont 29 seraient morts, sur environ 250 personnes enlevées le 7 octobre. Une trêve d’une semaine en novembre avait permis la libération de 105 otages en échange de 240 Palestiniens détenus par Israël.

« Déplacement forcé »

Face aux craintes internationales d’une offensive militaire majeure, M. Nétanyahou a affirmé dimanche qu’Israël assurerait « un passage sécurisé » à la population pour quitter Rafah, sans préciser où elle pourrait aller.

« Ils vont évacuer » les Palestiniens. « Où ? Sur la Lune ? », s’est interrogé à Bruxelles le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.

L’ONU ne s’associera pas à « un déplacement forcé de population » à Rafah, a pour sa part prévenu le porte-parole du secrétaire général de l’organisation.

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Rafah, le 12 février 2024

La perspective d’une offensive est « terrifiante », s’est alarmé de son côté le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Volker Türk, tandis que le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) Karim Khan s’est dit « profondément inquiet » du sort des civils.

Le Hamas a prévenu dimanche qu’une offensive sur Rafah « torpillerait » tout accord sur les otages, alors que des pourparlers sur une nouvelle trêve sont menés par l’Égypte et le Qatar. Le directeur de la CIA, Richard Burns, est attendu mardi au Caire pour poursuivre les discussions, selon des sources proches du dossier.    

Le département d’État américain a fait miroiter les bénéfices « énormes » d’un tel accord, à la fois en termes de libérations d’otages, mais aussi d’accès de l’aide humanitaire à Gaza.

Environ 1,7 million de personnes, d’après l’ONU, sur un total de 2,4 millions d’habitants, ont fui leur foyer depuis le 7 octobre dans le territoire palestinien assiégé par Israël et plongé dans une crise humanitaire majeure.  

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Rafah, le 12 février 2024

Rafah, devenue un gigantesque campement, est le principal point d’entrée de l’aide humanitaire, insuffisante pour répondre aux besoins de la population qui vit, selon le Programme alimentaire mondial (PAM) dans des « conditions proches de la famine ».

Les détails de l’opération du commando israélien

Un déluge de feu pour couvrir une opération commando éclair : les forces israéliennes ont libéré dans la nuit de dimanche à lundi deux otages détenus à Rafah, ultime cible affichée de son offensive dans la bande de Gaza. Voici le film des évènements.

1 h 49 : les forces spéciales israéliennes forcent à l’explosif l’entrée d’un immeuble au cœur de Rafah, où Fernando Marman et Luis Har, enlevés le 7 octobre lors de l’attaque du Hamas, sont détenus au second étage par des combattants palestiniens, a expliqué le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari. C’est le début d’une « intense bataille » guidée et suivie en direct par les chefs de l’armée, de la police et du Shin Beth (renseignement intérieur) depuis le siège de ce dernier, en présence du premier ministre Benyamin Nétanyahou et du ministre de la Défense Yoav Gallant.

1 h 50 : Un déluge de feu s’abat sur Rafah, réveillant les habitants. Des journalistes de l’AFP sur place entendent « des dizaines de frappes » et d’explosions dans plusieurs parties de la ville. Ces bombardements israéliens visent à faciliter l’intervention du commando, notamment en frappant les combattants du Hamas dans les environs, selon l’armée. Le commando « extrait Luis et Fernando de l’appartement et les évacue sous le feu » dans Rafah « jusqu’à une zone sécurisée ». Là, ils sont rapidement examinés par des médecins, avant d’être héliportés à l’hôpital Sheba de Ramat Gan, près de Tel-Aviv, où ils subissent des examens médicaux, ajoute la même source.

2 h 55 : Le Hamas fait état de 50 bombardements aériens israéliens qui ont fait au moins 52 morts et des dizaines de blessés. Selon des témoins et sources de sécurité palestiniennes, six maisons et deux mosquées ont été notamment visées.

Vers 3 h : La famille de Luis Har reçoit un coup de téléphone des autorités israéliennes. « Ils nous ont dit “Nous avons Fernando et Luis, venez les voir à l’hôpital” », a raconté Idan Bejerano, le gendre de Luis Har. « Sous le choc », la famille saute dans une voiture et part les retrouver à l’hôpital Sheba, où les deux hommes, alités, « semblent aller bien ». Il y a eu à ce moment-là « beaucoup de pleurs, des embrassades, mais peu de mots », selon M. Bejerano. « Ils se sont étreints en silence », c’était « très émouvant », a raconté à l’AFP le directeur de l’hôpital, Arnon Afek.

4 h 39 : Les forces israéliennes annoncent la libération de Fernando Marman et Luis Har lors d’une opération militaire à Rafah, et leur transfert à l’hôpital Sheba.

7 h 02 : Le Hamas condamne l’attaque de Rafah qui a fait selon lui « près d’une centaine de morts ».

10 h 12 : Benyamin Nétanyahou salue dans un communiqué les « courageux guerriers » pour l’« audacieuse opération » qui a conduit à leur libération.