Le suspense a duré quelques heures, samedi matin. Le navire Rachel-Corrie rompra-t-il le blocus de Gaza? Y aura-t-il répétition des événements de lundi dernier, alors qu'un raid contre une flottille a causé la mort de neuf personnes?

Finalement, le bateau -nommé en hommage à une jeune militante écrasée par un bulldozer israélien- a été arraisonné sans problème. Les militants à bord avaient maintes fois affirmé qu'ils ne résisteraient pas.

«Nous n'avons aucun problème avec les manifestations pacifiques, a dit le porte-parole du premier ministre Benyamin Nétanyahou, Mark Regev, dans une entrevue téléphonique. Le bateau a été intercepté de l'exacte même façon, avec plusieurs avertissements et des soldats descendus à bord.»

Les 19 militants ont été amenés au port d'Ashdod. Au moment d'écrire ces lignes, on ignorait s'ils avaient tous été expulsés. Free Gaza, l'organisme dont ils font partie, a comme politique de refuser systématiquement de signer les actes d'expulsion. Les participants à l'expédition précédente s'y étaient aussi opposés.

Le gouvernement israélien affirme qu'il laissera passer toute aide permise si les navires passent d'abord par Ashdod. Mais les organismes humanitaires refusent de plier.

Manifestation et contre-manifestation

Les récents événements ont mis en lumière les divergences d'opinion qui divisent Israël sur le blocus de la bande de Gaza. Samedi dernier, environ 5000 personnes ont manifesté à Tel-Aviv.

La marche était prévue à l'origine pour dénoncer le blocus et l'occupation des territoires palestiniens. Elle a surtout porté sur le raid contre la «flottille de la paix» lundi dernier et l'arraisonnement du Rachel-Corrie samedi. «Juifs et Arabes refusent d'être ennemis», «Nous aimons ce pays, mais nous n'aimons pas ce gouvernement»: les slogans se sont succédé, tout comme les drapeaux, israéliens, palestiniens et de différents partis de la gauche.

«Comprenez-moi bien: je ne suis pas un pacifiste, a dit Oded Lifshitz, rencontré sur place. J'ai été un soldat dans quatre guerres, je n'ai pas peur de défendre mon pays. Mais je crois que la paix est la seule solution.» M. Lifshitz, 70 ans, s'est rendu à Tel-Aviv avec sa femme, son fils et son petit-fils pour manifester contre le blocus. Il habite le kibboutz de Niroz, tout près de la bande de Gaza. «Oui, nous avons peur. Nous avons été attaqués plusieurs fois par le Hamas. Mais on voit la souffrance de l'autre côté aussi», a ajouté M. Lifshitz.

À la fin de la marche, des contre-manifestants sont venus faire entendre leur voix. Les deux camps se sont injuriés. Les policiers, très nombreux, ont dispersé la foule. «Les 5000 manifestants, ce sont les mêmes qui ont manifesté contre le blocus il y a quatre ans. La majorité des Israéliens ne pensent pas comme eux, ils sont minoritaires», a estimé Menachem Klein, professeur en sciences politiques à l'Université Barilan, près de Tel-Aviv.

«C'est facile de prendre pour le côté de la paix. Tu as la conscience tranquille, tu te places en dehors du conflit. Mais la réalité est beaucoup plus complexe», a confié Tamar Cassuto, jeune femme de Tel-Aviv rencontrée en marge de la manifestation.

Elle a attendu ses amis à l'écart, ne voulant pas se mêler à une marche qu'elle jugeait avant tout «émotive». Les médias israéliens ont montré de nombreuses images des soldats attaqués par les militants du navire Mavi Marmara. Les articles sur les liens présumés de certains participants au convoi avec des organisations terroristes se sont multipliés. «Les médias palestiniens et arabes n'ont pas fait mention des soldats blessés, ou des phrases comme "Retournez à Auschwitz" lancées par les gens sur le bateau. Mais de leur côté, les médias israéliens se sont montrés très partisans du gouvernement et ne l'ont critiqué que faiblement», a analysé Mossi Raz, ancien politicien devenu directeur des affaires pour la station de radio All for Peace.

Le média compte sur une équipe composée pour moitié d'Arabes et pour moitié d'Israéliens juifs.

«De chaque côté, les médias ne couvrent que leur côté de l'histoire. Chacun est convaincu qu'il est le seul à souffrir. Alors que les deux côtés commettent des erreurs et les deux côtés ont tort», a-t-il dit.