Quand il voit dans les médias de nouvelles vagues de migrants sénégalais risquer leur vie pour atteindre les îles Canaries, Babou Diouf se souvient du même voyage périlleux qu’il a entrepris il y a 17 ans et du chemin ardu qui l’a mené à son nouveau chez-lui : Burela, village de la côte nord de l’Espagne.

PHOTO NACHO DOCE, REUTERS

lls viennent du Sénégal, comme Babou Diouf, mais aussi d’Indonésie, du Pérou et des quatre coins de la planète. L’immigration fait aujourd’hui partie de l’ADN du village portuaire de Burela. Pas moins de 44 nationalités pour seulement 9450 résidants. Les immigrants sont bien accueillis par la population locale. « Il y a très peu de jeunes Espagnols [au village], donc l’avenir est dans la formation des immigrants », souligne le capitaine du Sarridal, Francisco Gonzalez Garcia, 41 ans.

Une industrie qui survit grâce aux migrants

Privé de son gagne-pain au Sénégal, Babou Diouf a opté pour la grande traversée en 2006, défiant la mort pour gagner les îles Canaries à bord d’une embarcation de fortune. Comme lui, plus de 30 000 migrants sont arrivés dans l’archipel espagnol cette année-là. Aujourd’hui, c’est son expérience de la pêche qui lui assure une nouvelle vie en Espagne, où la plus grande flotte de pêche de l’Union européenne, boudée par un nombre croissant de travailleurs espagnols, recrute des étrangers pour se maintenir. Pour son patron, le capitaine du Sarridal, Francisco Gonzalez, l’industrie de la pêche en Espagne ne pourrait tout simplement pas survivre sans les migrants.

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Mamadou Sarr, 38 ans, fait partie des 90 Sénégalais qui habitent à Burela. Ici, le pêcheur enfile son imperméable avant de ramasser les filets, à bord du Sarridal, qui navigue sur l’océan Atlantique, près des îles Sisargas, situées en Galice, communauté autonome d’Espagne.

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Sur la mer Cantabrique, là où le golfe de Gascogne rejoint l’océan Atlantique, Babou Diouf observe l’immensité bleue qui se déploie sous le Sarridal. La mer fait parfois remonter chez le pêcheur de douloureux souvenirs. « Voir des radeaux arriver en Espagne est très difficile. Traverser l’océan sans savoir ce qui vous attend, c’est affronter la mort. »

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Des fidèles entrent pour prier à l’intérieur de la mosquée, un ancien hangar reconverti en lieu de culte pour les musulmans, près du port de Burea. Les travailleurs étrangers représentent environ sept membres d’équipage sur dix dans la flotte de pêche du village, estime Juan Carlos Otero, de l’Association des propriétaires de bateaux de Burela.

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Au port de Burela, à l’aube, des pêcheurs indonésiens se préparent à une sortie en mer pour pêcher le merlu à la ligne au sud du Royaume-Uni et de l’Irlande. Les Indonésiens sont tellement recherchés pour leur savoir-faire en matière de pêche à la palangre que les propriétaires de bateaux paient leurs billets d’avion pour les faire venir en Espagne.

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Babou Diouf décharge les merlus pêchés dans la journée. Les poissons seront vendus à la criée au port de Burela. Comme nombre de ses compatriotes, c’est la crise du secteur de la pêche au Sénégal qui a poussé le pêcheur à quitter son pays. M. Diouf reproche à l’État sénégalais d’avoir vendu les meilleures zones de pêche à des entreprises étrangères. « Qu’en retirent les Sénégalais ? Rien. Ils prennent les ressources des Africains et maintenant, ils disent que les Africains qui arrivent en Europe sont un casse-tête. »

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Souleymane « Suly » Thiam, pêcheur sénégalais de 45 ans, se repose dans un lit superposé, à bord du Sarridal, lors d’une sortie en mer. À Burela, c’est souvent par le bouche-à-oreille que les Sénégalais trouvent du travail, ou encore en se présentant directement sur le quai où, s’ils ont un permis de séjour, on leur propose des contrats.

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Sa fille Saly Diouf Santos, 1 an, dans ses bras, et sa belle-fille Itziar Lopez Santos, 11 ans, à ses côtés, Babou Diouf est heureux de dire que Burela, c’est aujourd’hui chez lui. Remarié à Silvia, une Espagnole, il a fondé une nouvelle petite famille. Son frère, arrivé en Espagne du Maroc à bord d’un radeau, et ses deux neveux, passés comme lui par les îles Canaries, l’ont rejoint au village.

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Babou Diouf remonte difficilement sa prise alors que la mer est agitée. Après avoir travaillé plusieurs années dans l’agriculture, cueillant des légumes pour un salaire de misère, il gagne suffisamment d’argent aujourd’hui pour louer un appartement pour lui et sa petite famille et envoyer un peu d’argent à ses enfants plus âgés restés au Sénégal. Mais pour y arriver, il doit travailler 14 heures par jour. « C’est comme ça depuis toujours, dit-il. Je dors quand je peux, pas quand je veux. »

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Des pièges à crabes et à pieuvres accrochés à un mur, dans le port de Burela. Environ la moitié de la flotte pratique la pêche au merlu à la palangre. L’industrie pourrait s’effondrer d’ici trois ans, redoute Sergio Lopez, directeur de l’Association des producteurs de poisson de Burela. La Commission européenne va interdire d’ici 2030 le chalutage de fond dans les aires marines protégées, soit 12 % des eaux européennes. Une restriction qui s’appliquera à la pêche à la palangre.

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Les membres de l’équipage du Sarridal partagent un repas après avoir jeté leurs filets à la mer. De gauche à droite : Tony, originaire d’Indonésie, Souleymane « Suly » Thiam, Mamadou Sarr, Babou Diouf, tous venus du Sénégal, et Eduardo Garcia, seul Espagnol d’origine de la tablée. Le village de pêcheurs aux 44 nationalités compte également une importante communauté péruvienne.