Installée depuis deux ans dans l’ancienne église de Cap-à-l’Aigle, dans le secteur de La Malbaie, l’ancienne roseraie des Cantons-de-l’Est prend doucement racine dans le sol de Charlevoix. Passée de mère en fille, Rose des champs jouit d’une vue panoramique sur le fleuve, d’où les parfums de roses sauvages côtoient désormais l’air salin.

Dans la rue principale d’un charmant village qui surplombe le fleuve, une église en manque de fidèles attendait en vain preneur. Il aura fallu trois ans avant qu’une entrepreneure enthousiaste soit apostrophée par ses atouts et y voie l’appel d’un nouveau départ : une rencontre fortuite, mais étonnamment remplie de promesses.

Dans l’église, les senteurs de bois et d’encens fricotent désormais avec celles des roses et embaument les lieux d’un parfum de renouveau. Ils y gagnent quelque chose d’apaisant, de rassurant. Dans les confessionnaux, plus de péchés : que des pétales mis à sécher dans un milieu adapté, clos et sombre. Les odeurs, comme les bonnes résolutions, sont toutefois volatiles. Elles se libèrent par les interstices avec une légèreté rédemptrice.

« Je ne suis pas forcément attachée aux églises, même qu’elles m’ont toujours un peu fait peur », confesse Karine Martineau, dont le rire enveloppe chaque phrase de légèreté.

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Karine Martineau, propriétaire de Rose des champs

L’histoire du catholicisme au Québec est jalonnée d’écueils et je trouve qu’il y a un aspect guérisseur dans le fait d’y mettre des roses. Je le vois comme un geste de réconciliation et de cicatrisation de certains passages de notre histoire.

Karine Martineau, propriétaire de Rose des champs

La rose évoque la connexion au cœur, relève-t-elle, l’amour universel. Qu’une simple fleur ait pu engendrer une aussi forte symbolique suscite la fascination, mais il n’en demeure pas moins que bien des peuples et des religions ont souhaité la mettre à leur main. « Des scrupules ? Non. Je me dis que ce n’est peut-être pas pour rien qu’on s’est retrouvés dans une église. S’entourer de roses, c’est comme s’entourer d’amour. Et l’amour, ça commence par soi. »

C’est d’ailleurs la maxime de Rose des champs, qui compte sur le charisme de ses protégées pour inspirer la bienveillance et l’harmonie d’éloquente façon : dans des sérums, des crèmes de corps, des hydrolats, des confitures et d’autres « péchés de gourmandise » ou de « vanité ». Que du doux !

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L’intérieur de l’ancienne église de Cap-à-l’Aigle, rebaptisée la Cité d’art

Le pouvoir réparateur des roses

Il y a trois ans, dans un désir pressant de revenir aux sources, Karine Martineau a pris la relève de l’entreprise familiale fondée en 2004 par sa mère, Claire Mercier, tombée sous le charme de ces fleurs enfant, après avoir goûté le miel de rose de sa propre mère. « Elle avait une roseraie en Estrie, à Sainte-Catherine-de-Hatley. Je devais avoir 16 ans quand elle s’est lancée dans ce projet fou de Rose des champs », raconte Karine. Les scarabées japonais sont toutefois venus rompre le charme. Dans les dernières années, les rosiers, infestés, se raréfiaient et flétrissaient au même rythme que ce rêve fleuri. Claire Mercier songeait à vendre ou à fermer boutique.

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Rose des champs ouvre boutique cet été dans l’église. Il est possible de s’y procurer les produits cosmétiques et comestibles de la gamme homonyme.

Pendant ce temps, la fille, partie défricher son propre chemin, vivait sa remise en question. Une fausse couche, vécue le jour du premier confinement, a provoqué un virage de vie.

J’ai ressenti le besoin viscéral de me mettre les mains dans la terre, de me reconnecter à la nature. J’en avais assez de travailler derrière un bureau et j’avais envie d’apprendre.

Karine Martineau, propriétaire de Rose des champs

Karine Martineau décide alors de poursuivre la passion de sa mère. Charlevoix s’impose comme terre d’accueil. Là, les rosiers sauvages, qu’on appelle aussi églantiers, poussent de manière rustique depuis belle lurette. Les pieds dans le sable, la tête au grand vent, ils évoluent sans ajout de produits chimiques et sans parasites. À l’arrière de la petite église, une terre en pente avec un sol graveleux accueille 1000 plants tout neufs. « Ici, je ne te dirais pas que le temps ralentit tout le temps quand je travaille, mais ça m’inspire de regarder le fleuve et de voir loin. Je respire. »

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La rose a un goût délicat qu’on retrouve dans les sirops, tartinades, gelées et vinaigres de Rose des champs.

Le lieu des possibles

Chaque matin, aux aurores, avant que le soleil n’ait pu diluer leur essence, les roses sont récoltées. Plus généreuses que capricieuses, quoi qu’en dise Saint-Exupéry, elles offrent une floraison aussi abondante le lendemain, et ce, pendant un mois complet. Les têtes florales sont retirées et mises dans l’alambic pour produire l’eau de rose, avant d’être séchées et recyclées dans un sel de bain. D’autres pétales sont mis à sécher dans le confessionnal ou emballés sous vide. Ces trois modes de conservation permettent de transformer la récolte toute l’année.

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Une vingtaine de variétés de rosiers sauvages ont été plantées sur la butte.

Entre deux cueillettes, la propriétaire lève la tête pour voir les montagnes et regarder voguer les bateaux. Le tableau a de quoi alimenter la créativité et générer des idées. « Il y a un potentiel incroyable ici. On a tout ce qu’il faut pour transformer la rose et assez d’espace pour faire des conférences, un hôtel ou un restaurant. Tout est possible. »

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Les pétales sont mis à sécher dans les confessionnaux.

Cet été, Rose des champs ouvre ses portes avec une boutique temporaire jusqu’à la fin d’août, du jeudi au samedi, entre 10 h 30 et 16 h 30. Les visiteurs sont invités à apporter leur lunch et à profiter de la vue. L’an prochain, elle compte présenter une exposition sur l’histoire de l’église et, éventuellement, dévoiler son centre d’interprétation de la rose où l’on pourra assister à sa transformation. « On n’en est qu’au début de ce recommencement, dit Karine Martineau. Dans cinq ans, l’endroit sera métamorphosé. »

Consultez le site de Rose des champs