Une mère est agenouillée au sol pour boutonner le manteau de son enfant quand, soudain, il s’appuie contre elle. Elle perd l’équilibre et bascule vers l’arrière. Elle éclate de rire en tombant.

J’attends Faiz Abhuani dans l’entrée du centre communautaire qu’administre Brique par brique, l’OBNL dont il est le fondateur. Ici, on orchestre des rencontres entre familles, des ateliers de DJ, des bingos et plusieurs autres activités qui permettent aux résidants du quartier Parc-Extension de se rassembler.

Mais ce n’est pas ce volet qui m’intéresse, aujourd’hui. Ce sont plutôt les logements abordables que développe l’organisme.

Voyez-vous, Faiz Abhuani est un courtier immobilier qui veut rendre le marché plus accessible. Et il y parvient. Un tout premier bâtiment exploité par Brique par brique sera construit ce printemps. On y trouvera 31 logements dont les locataires payeront un loyer ne dépassant pas 25 % de leurs revenus.

La route pour se rendre là a été longue, comme je l’apprendrai bientôt.

En attendant, je regarde cette mère et son enfant. Et je ris, moi aussi.

Faiz Abhuani s’excuse en me retrouvant ; il a une grosse journée.

On monte au deuxième étage, dont les locaux sont loués à différents organismes. J’entame la discussion, tandis qu’il me prépare un thé.

« Qu’est-ce qui vous a mené vers le milieu communautaire ?

— Je voulais « changer le monde ».

— Pourquoi mimez-vous des guillemets ? Vous ne croyez pas le changer, à petite échelle ?

— Peut-être. Je pense que le jour où je serai satisfait, je vais arrêter de travailler… C’est donc mieux de continuer à douter. »

Il s’assoit en souriant.

Et moi, je tombe sous le charme.

Il me parle de ses parents d’origine indienne qui ont trouvé refuge au Canada, après un passage en Afrique. Des nombreux logements qui se sont succédé dans son enfance, de l’instabilité du clan, des injustices subies. De sa plongée universitaire dans l’histoire, l’anthropologie, le colonialisme et le capitalisme…

« J’ai compris que ce dont mes grands-parents, mes parents et moi-même avons souffert, ce n’était pas de notre faute, résume-t-il. Que ça faisait partie d’une dynamique économique et politique globale. »

Faiz Abhuani s’est donc intéressé de près aux différents mouvements de libération qui ont changé le cours de l’histoire. Il en a conclu qu’il était possible d’avoir un impact mondial tout en faisant des gestes chez soi. Il est devenu organisateur communautaire.

Or, en pleine période d’austérité, les moyens manquaient pour satisfaire ses ambitions. Il a tout lâché et s’est dégoté un boulot de mécanicien de vélos à temps partiel. Le reste de ses semaines était consacré au militantisme.

« J’ai beaucoup appris, me dit-il, mais il y avait peu de vision à long terme et c’était difficile de construire… Moi, je voulais vraiment construire.

— Comment avez-vous donc amorcé votre réorientation professionnelle ?

— Vous voulez dire : comment suis-je passé de hipster un peu bum à courtier immobilier férocement anticapitaliste ? »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Faiz Abhuani voulait développer ses propres infrastructures pour inciter au changement social. En 2016, il a donc fondé Brique par brique. L’organisme vise depuis à offrir des services aux résidants de Parc-Extension et à favoriser la création de logements sociaux.

Cet homme a le sens de la formule.

Faiz Abhuani voulait développer ses propres infrastructures pour inciter au changement social. En 2016, il a donc fondé Brique par brique. L’organisme vise depuis à offrir des services aux résidants de Parc-Extension et à favoriser la création de logements sociaux.

Et quelle est la meilleure manière de générer du logement ? Comprendre l’immobilier.

Alors, Faiz est devenu courtier.

Son plan : démarchandiser l’immobilier pour remettre les besoins des communautés en priorité. En d’autres mots, faire du courtage responsable.

Chez Brique par brique, on appuie des clients qui voient leur modeste projet refusé par d’autres courtiers. On accompagne aussi des propriétaires bien nantis qui acceptent de céder à l’organisme un pourcentage des profits réalisés grâce à la vente de leur demeure.

Étonnamment, il s’en trouve plusieurs !

Le courtier m’explique que bien des personnes concernées par les injustices sont très aisées et cherchent des façons de redonner. Par exemple, certaines souhaitent compenser l’embourgeoisement d’un quartier auquel elles contribuent en y achetant une maison. D’autres espèrent se sentir moins impuissantes devant la crise du logement. Dans tous les cas, Brique par brique devient une option intéressante…

C’est avec l’argent qui découle de ces activités de courtage, en plus de quelques subventions, investissements et partenariats, que l’organisme a acquis le duplex aujourd’hui transformé en centre communautaire.

Ce sont aussi ces fonds qui ont permis la mise en chantier des tout premiers logements sociaux gérés par Brique par brique.

Les 31 appartements se trouveront sur le terrain d’un ancien bâtiment commercial, avenue de l’Épée. Un terrain que convoitait l’organisme depuis quelques années déjà…

La Ville de Montréal l’a acheté en 2019 et ensuite vendu à Brique par brique, qui s’est associé au groupe ROMEL pour créer un espace répondant aux besoins de la communauté.

Comme le quartier compte de nombreuses grandes familles, bien des logements auront trois chambres, par exemple. Une cour intérieure permettra aux enfants de se réunir et les fenêtres de chaque cuisine donneront sur ladite cour, question que les parents puissent jeter un œil sur la marmaille tout en préparant les repas.

Avec ce premier bâtiment, c’est de la sécurité que l’organisme générera. Faiz Abhuani estime que la difficulté à trouver un toit stable engendre tout un lot d’injustices…

« Il y a plein de problèmes sociaux ! Tu veux les résoudre sans trop te casser la tête ? Fais du logement social. »

Il enchaîne en me parlant de son équipe, de ces bénévoles qui font le succès de Brique par brique.

« Les gens qui travaillent avec nous sont très motivés. Peut-être parce que ce sont tous des amis ! En fait, si tu veux changer le monde, ce n’est pas du logement social que tu dois faire, finalement… C’est plutôt mettre de l’énergie sur ta propre communauté. Sur l’amitié. Sur l’amour.

— Vous savez que ce sera la conclusion de ma chronique, n’est-ce pas ? »

Il me sourit, l’air de dire qu’il le sait, oui.

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