Un décorateur a aménagé son appartement dans le style édouardien, un courant qui a suivi immédiatement la période victorienne.

Chez Jean-Pierre LeRoux, le décor nous téléporte un siècle en arrière, peu avant la Première Guerre mondiale, aux derniers jours de ce qu'on a nommé le Gilded Age. Ici, un tableau de l'école française, là, un buste romain avec, à côté, une photo de famille en noir et blanc, des reliures en cuir marocain...

«Si un jeune homme de 1910 revenait dans mon logis, il s'y retrouverait totalement, affirme le décorateur architectural. Je n'aurais qu'à remplacer les luminaires par des lampes à l'huile.»

Construit en 1904 dans le quartier Viauville (arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve), le triplex, en pierre grise de Montréal, a toujours belle allure, malgré la perte de ses vitraux d'origine, de ses volets et de sa galerie de bois. L'odeur de biscuit, qui a longtemps flotté dans le quartier, s'est évanouie elle aussi, avec la fermeture, en 2003, de la biscuiterie Viau, devenue une habitation en copropriété.

M. LeRoux occupe depuis huit ans un appartement de six pièces et demi, qui a conservé ses plinthes, cimaises et autres ornements architecturaux. Lui à qui on faisait appel pour créer un environnement à la Star Trek, lui qui a vécu des années dans un cadre inspiré de Cosmos 1999 (murs rétroéclairés, meubles de plastique moulé) était mûr pour une tout autre ambiance. Le décor, cette fois, allait être édouardien.

Après Victoria

Édouard VII, successeur de la reine Victoria, a régné de 1901 à 1910, mais on considère que le style édouardien s'étend de 1901 à 1914, une période qui a vu naître le béton, l'éclairage au gaz et des paquebots comme le Titanic.

Débarrassé des salissures de la suie, on se mit à couvrir les murs de soie et à peindre les boiseries de blanc. «Ici, les gens vivaient avec des objets de styles disparates, dit Jean-Pierre LeRoux. Ils conservaient les meubles reçus en héritage. Ils utilisaient les objets rapportés de voyage.» Pour décorer son intérieur, M. LeRoux a donc puisé dans l'inventaire familial, une belle collection d'objets classiques d'époques différentes.

Né dans une famille de grande culture, le petit Jean-Pierre, à 4 ans, feuilletait déjà des bouquins d'architecture du XVIIIe siècle. M. LeRoux estime que les plafonds, les planchers, les murs et les boiseries doivent porter des teintes neutres: blanc, gris, noir ou café. «La décoration consiste à mettre en valeur les objets, sur ce fond neutre.»

Les murs, chez lui, sont donc noir-bleu, ou noir-vert. Le bourgogne y trouverait également sa place. «Nous sommes dans un pays froid, fait-il observer. On a besoin de se blottir dans des couleurs chaudes. Un décor tout blanc, c'est beau, mais ça rafraîchit.»

Une portière de velours doublée de soie sépare la bibliothèque du passage. Une autre, en tapisserie, bloque le regard entre la salle à manger et la petite cuisine. Quelques autres tapisseries anciennes (des reproductions de la compagnie La Licorne) ont trouvé leur place sur le mur de briques de la salle à manger, dans le vestibule, dans le passage, dans la bibliothèque et même dans le portique. Hérité de son oncle, un tapis persan d'Axminster, ouvrage courant au début du XXe siècle, habille la salle à manger.

De ses parents, M. Leroux tient un ensemble de salle à manger en chêne rouge massif, sculpté à la main, avec des poignées en bronze, datant de 1905-1908, de style élisabéthain. «Sans être des plus huppés, cet ensemble est tellement bien fait, comme l'étaient les choses, à l'époque», commente-t-il.

Des plats qui brillent

Pour évoquer un mode de vie maintenant révolu, M. Leroux laisse les objets à la vue: porcelaine de Limoges, service à thé en argent, etc. «Tout ce qui est exposé ici sert, explique-t-il. Objets d'argenterie, de cristal: on vit avec, on les utilise.»

Un choix de décor qui ne va pas sans un certain entretien. Toutes les six ou huit semaines, M. LeRoux nettoie à fond l'argenterie et les verreries. «C'est du travail, mais c'est aussi une qualité de vie, souligne-t-il. L'argenterie, bien nettoyée, brille d'une sorte de lueur bleutée. Cela donne du prix aux instants, ça enlève l'impression de courir.»

> Pour joindre Jean-Pierre Leroux

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Porcelaine de Limoges, argenterie fine, table de marbre: des cadeaux de mariage reçus par les parents de Jean-Pierre Leroux, en 1959. Le plateau de la table est constitué d'une tranche d'une colonne romaine découverte au fond du Tibre (Rome), au tournant du XXe siècle.

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Devant un portrait princier (école française, XVIIe siècle), des objets divers réunis en un tout harmonieux: deux vases et un contenant en verre vénitien, une petite flasque de verre vénitien rouge, un livre à couverture bleue, des pièces de cristal, de verre taillé et d'argenterie.

Viauville en chiffres

1867

Fondation de la biscuiterie Viau, à l'intersection des rues Ontario et Viau.

1892

Charles-Théodore Viau fonde le quartier Viauville, dans la cité de Maisonneuve, entre les rues Aird et Vimont. Après sa mort, en décembre 1898, sa succession continue de lotir et de vendre des terrains.

1900-1918

La plupart des bâtiments de Viauville sont construits durant cette période. La succession Viau, propriétaire d'une carrière à proximité, convainc la Ville d'exiger des façades en pierre de taille pour tout le secteur. C'est le quartier de l'île de Montréal où l'on en trouve encore le plus.

1912

Le naufrage du Titanic et, deux ans plus tard, le début de la Première Guerre mondiale sonnent le glas du Gilded Age. En 1918, Maisonneuve est annexée à Montréal.

Avec l'aimable collaboration de l'Atelier d'histoire de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve