Le Québec foisonne de créateurs qui fabriquent de leurs mains des objets originaux, authentiques, uniques. La Presse part à la rencontre de ces artisans dont les gestes et le regard donnent ses couleurs au design d’ici.

Il fait une chaleur de plomb à proximité de l’âtre en flammes de l’atelier Boutiverre — un 45 °C à rougir la peau et à faire suer une tasse de café plus vite qu’elle a été calée en prévision de ce rendez-vous matinal avec l’unique souffleuse de verre recyclé du Québec. « Le corps s’y fait », assure cette dernière, visiblement habituée aux feux de l’enfer.

Sur une étagère, des bouteilles de verre attendent leur chance de s’ennoblir. Sous l’intervention de l’artiste et d’un traitement extrême, elles renaîtront sous la forme de luminaires uniques qui portent la signature forte et caractéristique de Boutiverre.

D’un geste sûr, Caroline Couture accroche une bouteille au bout de sa pipe à souffler d’un rouge ardent. La pièce sera soumise à une température de 1200 °C. Rapidement, le verre se déforme, devient malléable et se reforme. La créatrice, à l’affût de chaque modification de la matière, plonge l’objet dans la cendre, le renvoie dans les flammes, le berce dans l’air et le modèle de son souffle.

La souffleuse de verre Caroline Couture à l’œuvre
  • La souffleuse de verre Caroline Couture à l’œuvre

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La souffleuse de verre Caroline Couture à l’œuvre

  • La souffleuse de verre Caroline Couture à l’œuvre

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La souffleuse de verre Caroline Couture à l’œuvre

  • La souffleuse de verre Caroline Couture à l’œuvre

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La souffleuse de verre Caroline Couture à l’œuvre

  • La souffleuse de verre Caroline Couture à l’œuvre

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    La souffleuse de verre Caroline Couture à l’œuvre

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Le processus comprend sa part de hasard. Le résultat se laissera découvrir une fois le processus abouti. Ainsi, un récipient produit en série se transformera en luminaire bosselé, craquelé, irrégulier — unique — dans lequel la lumière s’infiltre de fascinante façon.

On dit souvent que de travailler avec le verre ressemble à une danse. Il faut savoir s’adapter à la matière. C’est la beauté du verre.

Caroline Couture

« Il y a des journées moins bonnes où il n’y a pas grand-chose de bon qui sort du four. Ça dépend si je suis en forme, si je suis focus, si ça fait longtemps que je n’ai pas fait un modèle », indique la fondatrice de Boutiverre. Le métier, relève-t-elle, est exigeant physiquement et mentalement. Un moment de distraction ou de relâche peut anéantir l’œuvre ou laisser son empreinte sur la peau.

Le sort de chaque création se joue dans un intervalle de 5 à 30 minutes durant lequel la créatrice est dans un état de vigilance. Le processus ne peut être interrompu une fois engagé. « Ça fait 17 ans que je travaille le verre. Même après tout ce temps, la fébrilité est toujours présente avant chaque soufflage, avoue-t-elle. Il faut aimer l’adrénaline ! »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Les globes en attente d’être agencés en luminaires

L’objet qui a du sens

« Je suis assez téméraire dans la vie, convient Caroline Couture. J’aime découvrir et expérimenter. » Téméraire, mais prudente. Formée aux métiers du verre après un bac en enseignement, l’artisane a mis des années à développer ses créations tout en travaillant à plein temps dans une école. Il y a sept ans, elle ouvrait Boutiverre à Lac-Brome, en Estrie, pour s’y consacrer entièrement trois ans plus tard.

Dès le départ, son souci de l’environnement l’a conduite vers le verre recyclé. Contrairement à d’autres, elle ne le concasse pas pour le faire fondre, mais le travaille dans sa forme initiale pour économiser davantage d’énergie. « Dans ma formation, on ne touche qu’au verre neuf. Normalement, les souffleurs de verre pensent à une forme, puis aux étapes pour la réaliser. Moi, je dois penser à l’envers : je pars de la bouteille et je vois ce qu’elle me permettra de faire. Ça oblige à penser différemment. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Quelques créations

Des années de recherches et de pratique lui ont permis de développer ses propres techniques pour créer les objets de table et principalement les luminaires devenus son dada avec le temps. « Je ne travaille pas des couleurs, mais plutôt des textures naturelles et authentiques qui donnent une patine au verre, mais se marient à tout. »

Chaque pièce est trempée durant le processus de soufflage : dans le bicarbonate de soude pour la blanchir, dans l’eau pour conserver sa clarté tout en générant des craquelures ou dans la cendre qui oxyde le verre et y dépose des nuances de blanc, d’ocre ou de bleu au hasard des choses. Les créations de Boutiverre ont du caractère, et c’est l’effet souhaité : une heureuse rencontre entre le savoir-faire, le feu et la matière.

  • L’atelier-boutique Boutiverre

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    L’atelier-boutique Boutiverre

  • L’atelier-boutique Boutiverre

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

    L’atelier-boutique Boutiverre

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La notion d’artisan professionnel est parfois mal perçue au Québec, déplore Caroline Couture. « C’est comme s’il y avait les artistes en haut et les artisans en bas. Quelle est la différence entre le peintre et l’artisan ? Le peintre utilise son pinceau et moi, la canne à souffler. » On lui fait parfois la remarque qu’elle s’est trouvé un beau passe-temps ou que le prix de ses créations est élevé pour un luminaire ou un verre. Le fait de travailler la matière de ses mains n’exclut aucunement la démarche artistique, les connaissances nécessaires pour créer et l’investissement de moyens, de temps et d’argent dans chaque création, précise-t-elle.

Néanmoins, les perceptions changent depuis la pandémie. « Je crois que les gens recherchent de plus en plus des objets qui ont un sens. Ils s’intéressent à la démarche, à l’éthique, à l’unicité de la création et à la personne qui en est à l’origine. » De pouvoir s’asseoir avec un client pour concevoir un luminaire est d’ailleurs un des aspects du métier que Caroline Couture affectionne particulièrement. « Mes luminaires sont fabriqués à la main, au Québec, à partir de matière recyclée, souligne-t-elle. L’objet a un sens de A à Z. »

Consultez le site de Boutiverre