La Presse jette un regard sur les innovations qui façonneront le Québec de demain.

Un enseignant de cégep, à Rouyn-Noranda, poursuit un projet un peu fou : imprimer en 3D des maisons adaptées au climat du Québec.

Ce professeur se nomme David Laliberté. Il enseigne la maintenance industrielle au cégep de l’Abitibi-Témiscamingue. Mais, dans une autre vie, il était directeur d’usine. Son dada, c’est la simplification des processus de travail avec, à la clé, un produit de meilleure qualité.

Son intérêt pour l’impression de maisons en 3D a commencé en 2018, presque banalement, à la suite d’importants travaux de rénovation de sa nouvelle maison, raconte-t-il. De simples infiltrations d’eau, provoquées par une erreur lors de l’installation d’une fenêtre, ont eu le mérite de piquer sa curiosité pour la construction résidentielle.

Pourquoi bâtir une maison exige-t-il autant d’étapes d’étanchéisation, puis de percement pour les sorties de ventilation, de plomberie, d’électricité, qui doivent encore être étanchéisées ? s’est interrogé cet ingénieur de formation.

PHOTO FRED FROESE, GETTY IMAGES

L’impression en 3D d’une maison se fait grâce à une pompe à béton.

« En termes de génie industriel, tous ces gestes équivalent à autant de risques d’erreur, explique-t-il. C’est à partir de ce moment que je me suis intéressé à l’impression automatisée de bâtiments. Cela m’a donné le goût d’en savoir plus et de faire de la recherche sur le sujet. »

En gros, l’impression en 3D d’une maison est réalisée grâce à une pompe à béton dont la buse se déplace avec précision à l’horizontale et à la verticale. Elle construit la structure de l’immeuble, sans besoin de coffrage, en déposant l’une sur l’autre des couches de matériaux, souvent du béton.

PHOTO FOURNIE PAR LE CÉGEP DE L’ABITIBI-TÉMISCAMINGUE

David Laliberté (au centre), enseignant au cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, a lancé un projet de recherche sur l’impression 3D de maisons adaptées au climat québécois. Il a obtenu l’appui de son directeur général, Sylvain Blais (à gauche). Son équipe compte dans ses rangs le chercheur Abdelmajid Rakib (à droite), spécialisé dans l’utilisation de rejets industriels pour l’amélioration du béton.

Enthousiaste, David Laliberté a réuni autour de lui une équipe de chercheurs en architecture, optique, matériaux composites, impression 3D, maisons passives et structures de béton, tous actifs dans différents cégeps et universités de la province.

Le caractère innovant du projet a capté l’attention de Québec, qui a sauté dans le train avec l’attribution d’un fonds de recherche de près de 1 million de dollars. « Tout ça à cause d’une fenêtre qui coulait », glisse-t-il, pince-sans-rire.

L’objectif est simple, mais défie l’imagination : imprimer complètement une maison modulaire d’ici le 31 mars 2026, avec une empreinte carbone la plus faible possible, pour ensuite en faire don à l’organisme Habitat pour l’humanité Québec.

« Un vrai bâtiment, construit de façon durable, dans lequel vont vraiment vivre de vraies personnes », résume M. Laliberté.

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Des expériences en impression 3D de maison sont tentées depuis quelques années partout dans le monde, comme ici, en Pologne.

Révolution en vue

L’idée d’imprimer des maisons n’est pas nouvelle. Des expériences de ce genre sont tentées depuis quelques années, un peu partout dans le monde, souligne le professeur Ammar Yahia, de l’Université de Sherbrooke, qui n’a pas hésité à se joindre à l’équipe de David Laliberté.

« Nous nous intéressons à l’impression 3D depuis sept ou huit ans », affirme-t-il dans son vaste laboratoire, doté justement d’une imprimante à jets de béton.

Ce projet nous permettra de suivre la cadence [mondiale], mais aussi de mettre à contribution le savoir-faire québécois pour répondre à un besoin en matière de logements durables et résilients à un coût abordable.

Ammar Yahia, de l’Université de Sherbrooke

Selon ce spécialiste des bétons fluides, cette technologie émergente laisse miroiter une petite révolution dans le domaine de la construction, aux prises actuellement avec une pénurie de main-d’œuvre. Une maison de qualité supérieure pourrait être ainsi bâtie plus rapidement, pour moins cher, avec un minimum d’ouvriers, dans un environnement sécuritaire et, en prime, une production limitée de déchets, croit-il.

Ce n’est pas tout, poursuit-il. « L’impression 3D ouvre la porte à une possibilité presque infinie de formes géométriques complexes, jusque-là difficilement concevables », explique-t-il.

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Des maisons en impression 3D en construction à North Austin, au Texas

Au Canada, l’an dernier, des bâtiments ont été imprimés directement sur des sites en Ontario. Mais l’approche de David Laliberté est diamétralement différente : au lieu de trimballer la machinerie nécessaire de chantier en chantier, il compte plutôt se concentrer sur l’impression de modules en usine pour assembler la maison sur les lieux de la construction.

« Au Québec, on ne peut pas imprimer à l’extérieur à longueur d’année, fait-il d’abord valoir. Il y a aussi des délais relativement longs pour installer l’imprimante avant la construction, puis pour la retirer ensuite du chantier. On pense que l’impression en usine peut réduire ces délais. »

PHOTO MICHAL ROJEK, GETTY IMAGES

Imprimer des maisons en 3D ? C’est le rêve de David Laliberté.

La question béton

David Laliberté et son équipe tenteront de créer une maison dotée de grandes vertus écologiques. À ce chapitre, l’impression en béton pèse lourd dans la balance environnementale.

« Ce n’est pas le matériau le plus vert. Sa production dégage beaucoup de carbone », reconnaît le chercheur, en soulignant qu’il est possible d’utiliser du béton « moins polluant » développé à l’Université de Sherbrooke. Mais d’autres matériaux actuellement à l’étude pourraient devenir de bonnes options de remplacement.

L’Université du Maine aurait notamment obtenu des résultats intéressants avec un mélange de polymères et de résine de bois, dit David Laliberté.

Les chercheurs veulent créer aussi une enveloppe résiliente de haut calibre, avec une étanchéité et une isolation sans faille. Ils veulent notamment développer un dispositif optique pour faire entrer plus de chaleur naturelle à l’intérieur du bâtiment, et ainsi diminuer les coûts de chauffage.

« Il nous reste maintenant à relever nos manches. Mais nous avons les moyens de nos ambitions ! », croit David Laliberté.