L'entreprise d'origine québécoise A. Richard s'est fait une spécialité des outils manuels, notamment grâce à leurs qualités ergonomiques.

L'entreprise d'origine québécoise A. Richard s'est fait une spécialité des outils manuels, notamment grâce à leurs qualités ergonomiques.

 Toute une gamme de grattoirs et de spatules aux couleurs noir et jaune de sa collection Ergo-Grip présentent des courbes séduisantes. Les ventes de ces produits aux particuliers ont connu une croissance spectaculaire.

 Cette réussite s'appuie sur deux paramètres. L'outil doit être confortable et efficace. Et il doit avoir l'air confortable et efficace. Sur l'étalage, on est incité à le prendre en main. Et une fois acheté, il tient ses promesses.

 Même si des volumes complets ont été écrits sur l'anthropométrie et l'ergonomie, il n'y a pas de recette pour la conception d'un manche d'outil.

 Le designer doit mettre la main à la pâte à modeler. Il avance à tâtons - au propre comme au figuré -, guidé par l'expérience et l'intuition.

 Lors de son premier mandat de conception pour A. Richard, à la fin des années 90, le designer industriel Jacques Laval s'était vu remettre une spatule concurrente dotée d'un manche ergonomique, avec le commentaire suivant: ils nous font mal, il faut faire mieux. La deuxième qualité, en fait, faisait défaut à l'outil: il semblait bien ergonomique, mais ses formes anguleuses rendaient en fait sa prise désagréable à l'usage. «Ils avaient travaillé très fort sur la sémantique, mais pour l'ergonomie, j'en suis moins sûr», commente le designer.

 On lui a accordé un week-end pour trouver une réponse. Poignée tout en rondeur dans le creux de la paume. Dépression sur les faces du manche pour loger la pointe des doigts. Léger évasement à la naissance de la lame, formant une garde où le pouce vient s'appuyer. L'outil qu'il a conçu peut s'utiliser tout aussi efficacement sur sa tranche que sur le plat. «La prise du manche n'est pas statique ni spécialisée au point qu'elle n'offre qu'une seule préhension», explique-t-il.

 Le designer a ensuite reçu la mission de revoir le manche du grattoir à peinture de l'entreprise. Il a longuement observé le travail des peintres professionnels. «C'est un ballet, et avec l'âge, ils sont encore plus économes de leurs gestes», décrit-il en mimant une (élégante) chorégraphie du raclage. «Il y a une esthétique du mouvement, dans lequel tout le corps est impliqué.»

 De cette observation, il a retenu deux points fondamentaux, qu'il a exprimés dans ses esquisses préliminaires: une main pour tirer l'outil, l'autre pour exercer une pression sur la lame. Peu à peu, il a raffiné ce qu'il appelle la forme radicale du design. «Les exigences ergonomiques peuvent réclamer des formes plus radicales, mais finalement, il faut évoluer vers une forme digeste, réaliste, et surtout harmonieuse.»

 Cette harmonie s'est finalement traduite dans un outil doucement galbé, dont le manche se termine en un ergot où le petit doigt vient s'appuyer pendant la traction. La tête de l'outil s'évase sans heurt en un large point d'appui triangulaire, où l'autre main peut contrôler la pression qu'elle exerce. «D'autres industriels m'ont dit que j'avais tellement fait du bon travail que l'entreprise a été rachetée par des Américains», a conclu Jacques Laval avec un mélange de fierté et de gêne.

 Il a offert une poignée de main ferme, mais sans pression excessive. Ergonomique.