Il faut remonter aux origines de l'humanité pour y rencontrer le premier père Noël. Celui-ci existait en effet déjà sous une tout autre forme que celle que nous connaissons aujourd'hui. C'était celle d'un chaman-sorcier qui, dansant et chantant, personnifiant l'Esprit de la nature. Et c'était il y a plus de 10 000 ans!

Le but de la danse qu'effectuait alors le chaman-sorcier était de faire entrer l'Esprit de la forêt en lui et de l'amadouer en vue de la grande chasse. Possédé par cet Esprit de la forêt, le chaman-sorcier entrait alors en transe, tout en effrayant de son balai femmes et enfants réunis autour de lui.

 

Jusqu'au XVIe siècle, ce personnage mythique coloré, portant masque, barbe, cornes et peaux d'animaux, orna l'imaginaire des peuplades indo-européennes. Portant parfois aussi la robe, il dansait, jouait de la musique et agitait frénétiquement son balai de bouleau, symbole sexuel de fécondité.

Toutefois, dès les premiers siècles de notre ère, l'Église chrétienne romaine montante voyait d'un très mauvais oeil l'attachement des populations rurales à ces vieilles traditions qu'elle considérait contraires à l'enseignement du Christ. Pour dissuader la population de ces rites pourtant millénaires, l'Église eût même l'idée saugrenue d'utiliser l'image du chaman-sorcier orné de cornes et de peaux de bêtes pour personnifier Satan lui-même.

Mais malgré cela et les interdictions répétées de l'Église, le peuple avait encore souvent recours à l'Esprit de la forêt incarné dans le chaman-sorcier. L'Église tenta alors de remplacer le culte des dieux païens par celui de saints chrétiens. (...)

C'est alors qu'on vit comme par hasard apparaître dans la mythologie chrétienne l'image de ce vieil évêque du IVe siècle, saint Nicolas, mitre sur la tête et crosse à la main, représenté chevauchant follement dans le ciel sur un cheval blanc, et accompagné d'un curieux petit personnage à malices qui lui servait d'aide. Ce personnage à malices, appelé Zwarte Piet (Pierre le Noir) en Hollande ou Knecht Ruprecht en Allemagne, est en fait le substitut direct du fameux valet Eckhart qui lui-même n'aurait été autre chose que la transposition mythologique du chaman-sorcier Herne-Pan de l'ancienne tradition.

Relents chamaniques

Notons que sur plusieurs points, autant le valet Eckhart que l'accompagnateur de saint Nicolas ont effectivement de forts relents chamaniques: ils portent tous deux cornes et barbe, ils sont velus ou habillés de peaux de fourrures, et agitent un balai de bouleau. Pendant que le bon saint Nicolas s'affaire à distribuer des cadeaux aux enfants qui ont été sages, Knecht Ruprecht pour sa part, tel un petit diable, s'occupe d'apeurer et de menacer de son balai de bouleau les enfants qui n'ont pas été sages. Dans de nombreux villages, les personnages de saint Nicolas et de son accompagnateur se confondaient ensemble pour ne former qu'un même individu. On l'appelait alors Nikolass ou Klaus et avait la plupart du temps l'apparence du sombre valet. Il existait aussi une version féminine du même personnage qui s'appelait Berchte, Budelfrau ou Buzeberght, (les ancêtres de mère Noël?...).

C'est de cette confusion entre saint Nicolas et son accompagnateur, due en grande partie à l'importance toujours persistante de ce représentant de l'Esprit de la forêt dans l'imaginaire collectif, qu'est née l'image moderne d'un Santa Claus mi-saint, mi-sorcier, rieur et à barbe blanche. Lorsque l'essayiste américain Washington Irving mentionna dans sa Knickerbocker history of New York cette vieille légende de saint Nicolas, cela donna l'idée à un autre américain, Clement C. Moore, professeur de théologie, de faire un poème sur le sujet, mais où, cette fois-ci, le traditionnel cheval blanc de Saint-Nicolas parcourant le ciel serait remplacé par un renne imaginaire. Ce poème rédigé en 1823 s'intitula A visit from Saint Nicholas.

Le premier illustrateur de ce poème de Moore fut Boyd qui représenta le personnage comme un étrange petit personnage hollandais à l'allure énergique, une pipe d'argile au bec (...). Quarante ans plus tard, ce poème fut de nouveau illustré pour un grand magazine américain, le Harper. Le célèbre illustrateur d'origine bavaroise Thomas Nast fut chargé d'illustrer le personnage du poème de Moore. Il s'inspira alors de ses souvenirs d'enfance en Bavière et le dessina en un gnome revêtu de peaux de bêtes et portant une courte baguette en forme de balai avec laquelle il menaçait les enfants désobéissants.

Plus tard, lorsqu'à la demande de la compagnie Coca-Cola, Haddon Sundblom dut créer un personnage plus convivial et surtout ami des enfants, il écarta évidemment les deux petits personnages grincheux et menaçants de Boyd et de Nast. Il imagina à la place un tout autre Santa Claus, soit un personnage plus gros et jovial, habillé aux couleurs de Coca-Cola, le rouge vif et le blanc, une sorte de bon grand-père rassurant entouré de ses petits-enfants et qui se délectait de Coca-Cola. C'est donc finalement d'une sorte de saint Nicolas païen déguisé sous les traits de son accompagnateur rieur et dévergondé par les bienfaits du Coca-Cola dont Haddon Sundblom accoucha.

Pierre Desjardins

M. Desjardins est auteur et professeur de philosophie.