Retours épatants d’Astérix et de Gaston Lagaffe, expériences visuelles époustouflantes et poésie sensible : de bien belles œuvres n’attendent que les yeux des grands lecteurs de BD.

Nouvel élan pour Astérix

On sent dès les premières pages de L’iris blanc, le 40e album d’Astérix, que le scénariste Fabcaro trouve le ton juste : il se moque gentiment des habitants du village, qui sont les miroirs de nos propres travers, sans perdre de vue que ces aventures existent d’abord par et pour l’humour. L’iris blanc, qui se paie la tête de ces gourous qui abusent de leur pouvoir, rappelle des albums comme Le devin et La zizanie et surtout l’ère magnifique de Goscinny.

L’iris blanc, Fabcaro et Conrad, Éditions Albert René, 48 pages

Une divine comédie

PHOTO FOURNIE PAR SARBACANE

Le fils de Pan

L’univers de Fabrizio Dori, qu’on a découvert avec Le divin scénario, se révèle une fois de plus épatant et amusant. Le fils de Pan est une « comédie antique » où on suit Eustis qui, à contrecœur, doit aider un divin enfant (le garçon du titre) à trouver son talent et sa place dans les marges du monde réel. On vous passe tous les tours et détours du scénario pour souligner la richesse du monde pictural du dessinateur italien, qui multiplie les clins d’œil, notamment à Twin Peaks de David Lynch et à l’art abstrait de Piet Mondrian.

Le fils de Pan, Fabrizio Dori, Sarbacane, 236 pages

Queenie vue par Mikaël

PHOTO FOURNIE PAR DARGAUD

Harlem

Le bédéiste québécois d’origine française Mikaël vient de clore son diptyque consacré à Stéphanie St. Clair, dite Queenie, femme gangster qui a régné sur Harlem au début du siècle dernier. Le soin apporté aux décors saute une fois de plus aux yeux dans cette œuvre qui donne l’impression de sentir la poussière des rues de New York. Ce qui fait la force de ce diptyque, c’est toutefois qu’il raconte des trajectoires humaines et fait sentir les drames vécus tant par ses personnages principaux que ceux qui les entourent.

Harlem, tome 2, Mikaël, Dargaud, 56 pages

Portrait poétique

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Dédé

Il n’y a qu’une façon de décrire l’art du bédéiste et dessinateur Christian Quesnel : c’est un poète. Son talent se déploie avec une finesse franchement émouvante dans Dédé, portrait intime du regretté chanteur des Colocs. S’inspirant surtout d’écrits laissés par l’artiste et de rencontres avec sa famille et ses amis, Christian Quesnel cherche à saisir l’homme derrière le mythe. Sans jugement, sans aucune forme d’impudeur ni de racolage. On le lit pour l’histoire, bien sûr, mais il faut prendre le temps de s’arrêter à chaque page, à chaque case pour en sentir toute la portée.

Dédé, Christian Quesnel, Libre Expression, 120 pages

BD ovni

PHOTO FOURNIE PAR ÇÀ ET LÀ

La couleur des choses

Fauve d’or du meilleur album au Festival d’Angoulême en 2023, La couleur des choses est une BD qui ne ressemble à aucune autre. On devine l’influence de l’Américain Chris Ware, bien sûr, dans cette œuvre qui doit beaucoup aux arts graphiques, mais Martin Panchaud possède un style bien à lui. Il raconte ici l’histoire de Simon, un ado grassouillet déterminé à sauver sa mère et qui, une fois qu’il a gagné le gros lot, voit sa naïveté exploitée par des gens mal intentionnés. Panchaud raconte tout ça dans un style abstrait, fait de formes géométriques développant un code unique auquel le lecteur donne sens. Audacieux.

La couleur des choses, Martin Panchaud, Çà et là, 236 pages

La croisière ne s’amuse pas

PHOTO FOURNIE PAR LA PASTÈQUE

Heureux qui comme Ugo

Réal Godbout (Red Ketchup, L’Amérique ou le disparu) fait équipe avec son fils pour cet album qui raconte une croisière pas comme les autres : un voyage en Méditerranée sur les traces d’Ulysse dans un yacht hyperluxueux… qui sert à bien d’autres choses qu’à la navigation de plaisance. Godbout père et fils signent ici une œuvre foisonnante, teintée d’humour, qui pose un regard critique sur le tourisme de masse et ne ferme pas les yeux sur la tragédie de ces nombreux humains tentant d’atteindre l’Europe par la mer. Souvent au péril de leur vie.

Heureux qui comme Ugo, Réal Godbout et Robin Bourget-Godbout, La Pastèque, 187 pages

Gaston ressuscité !

PHOTO FOURNIE PAR DUPUIS

Le retour de Lagaffe

Delaf, coauteur et dessinateur des Nombrils, a décroché tout un contrat : ramener à la vie l’un des personnages les plus attachants de la bande dessinée franco-belge, Gaston Lagaffe. Le résultat est absolument époustouflant. Le bédéiste de Sherbrooke n’arrive pas seulement à recréer visuellement le monde de ce cher Gaston, il en rend également l’esprit dans des gags rappelant habilement le passé tout en faisant des clins d’œil au monde actuel. Un jeu d’équilibriste parfaitement exécuté qui ravira les fins connaisseurs – enfants ou adultes. Gaston Lagaffe, le plus fainéant des héros de BD, n’a qu’à bien se tenir : il risque d’avoir du boulot ces prochaines années !

Le retour de Lagaffe, Delaf, Dupuis, 48 pages

Mort d’un chien

PHOTO FOURNIE PAR RUE DE SÈVRES

Jim

Ce Jim n’est pas vraiment une BD, c’est plutôt un petit livre illustré au cœur grand comme ça. Et c’est l’œuvre d’une icône de la bande dessinée, François Schuiten, le dessinateur des extraordinaires Cités obscures (créées avec Benoît Peeters), qui cherche à transcender le deuil de son chien en le dessinant tous les jours. Banal ? Au contraire. Usant de son imagination et de sa sensibilité, il crée des images d’une poésie touchante qui disent magnifiquement le vide, la peine, l’impuissance et le sentiment de dépossession qu’on ressent lorsqu’on vit un deuil. Un petit livre très remuant.

Jim, François Schuitten, Rue de Sèvres, 128 pages