Le foie gras est un incontournable du temps des Fêtes. Or, de nombreux malentendus entourent ce produit gastronomique malmené par les défenseurs des droits des animaux et les faussaires qui nous vendent n'importe quoi. Nous avons rendu visite à un des rares élevages artisanaux de foie gras du Québec, situé à Saint-Jean-de-Matha. Nous avons découvert une ferme à l'échelle humaine et 250 canards «bien élevés».

Depuis cinq ans, le couple franco-québécois formé d'Yvanne Maurel et Martin Coulombe gave des canards dans l'ancien domaine du chef radio-canadien Henri Bernard. De tous les artisans du foie gras au Québec, ils sont les plus petits: ils ne produisent que 1500 canards par année (les producteurs industriels Élevages Périgord et Palmex en élèvent au moins 150000 chacun). Formés dans le Périgord, ils souhaitent créer ici une agriculture différente, éthique, respectueuse de la terre, du palmipède et du consommateur.

Yvanne et Martin élèvent du mulard, hybride stérile issu du croisement entre la cane de Pékin et le canard de Barbarie.

À leur arrivée, les canetons passent un mois sous l'incubateur, jusqu'à ce que la plume pousse. Et hop! dans la grange, d'où ils peuvent sortir en tout temps pour se promener et se repaître dans le parcours herbeux. À 12 semaines d'âge, les canards entrent en prégavage, à la moulée. Pendant cette période, on leur donne environ une ou deux heures pour manger la quantité d'une journée. «Les deux ou trois premiers jours, ils se font un peu avoir, car ils ne réalisent pas que la mangeoire est ouverte seulement pendant une courte période chaque jour, explique Yvanne. Après, ils comprennent et se précipitent.» Le prégavage a pour fonction de dilater la poche de réserve (le jabot) du canard, afin de rendre le gavage plus facile.

À 14 semaines, le gavage au maïs entier se fait deux fois par jour en parc collectif (et non dans des cages). Il dure deux semaines. «On essaie de recréer un espace grégaire», raconte la jolie fermière.

Yvanne et Martin ont chacun leur parc, pour que les canards s'habituent à eux. Ensuite, il faut attraper le canard, l'immobiliser, le rassurer et le gaver, au moyen d'une gaveuse mécanique en forme d'entonnoir qui déverse les grains directement dans le jabot.

«Le gavage, c'est une opération qui dure 10 secondes, assure Yvanne. Ce n'est pas tant ça qui dérange le canard que le fait d'être immobilisé. Ce qui peut être douloureux, par contre, c'est de ne pas respecter la dose que chaque canard peut prendre. Si j'arrive le soir et que la poche est encore pleine, je ne gave pas le canard.»

Une fois relâchée, la bête va souvent déployer ses ailes, puis replacer ses plumes avec son bec. «Une vétérinaire nous avait expliqué que c'était sa façon de se "réapproprier son corps"», raconte Yvanne.

Transformation

«Une façon qu'on a trouvée pour demeurer artisans et être rentables, c'est de faire de la transformation et d'offrir une valeur ajoutée», explique la productrice. Ainsi, la maison prépare un pur foie gras, cuit en bocal, un superbe foie gras au torchon, cuit lentement dans un bouillon de pot-au-feu, un parfait de foie gras (75% de foie gras) et des escalopes à poêler. Yvanne et Martin apprêtent également le reste du canard: rillettes, magrets, cuisses, coeurs et gésiers confits, graisse, fonds, etc.

Ils aimeraient offrir d'autres produits, mais se sentent limités par une réglementation industrielle qui rend difficile la production artisanale. «C'est très dommage, puisque les consommateurs québécois sont prêts à accueillir quelque chose de plus gastronomique», croit Martin. Des saucissons de canard? Ce n'est pas pour demain matin! Mais en attendant, on se régale tout de même de toutes les merveilles qui sortent de cette charmante petite ferme situé à une heure de Montréal.

Faits intéressants

Les artisans du foie gras gavent au maïs entier plutôt qu'à la pâtée. Le maïs contient davantage d'amidon, ce qui engraisse bien le foie. La pâtée est prédigérée et plus facile à ingérer dans les conditions industrielles. Un canard gavé au maïs aura un goût subtil de noisette.

Le gavage à la main prend quatre fois plus de temps qu'en industrie, soit une heure et quart, deux fois par jour, pour 125 canards.

Environ 1/3 des foies gras sont de catégorie A. On les réservera pour les produits haut de gamme, comme le torchon. Ceux qui sont un peu abîmés, parce qu'il ont poussé sur la cage thoracique et fait un hématome, sont classés B. On les trouve plutôt dans les parfaits et terrines. Cela dit, tous les B ne se valent pas. Chez Maurel-Coulombe, on prétend ne produire que du AAA et du A!

Conseils aux consommateurs

LA question à poser pour s'assurer d'acheter un foie gras d'élevage artisanal: «Est-il gavé au maïs entier et à la main?»

Ne jamais tartiner le foie gras. On en dépose tout simplement un morceau sur un bout de baguette grillée, avec une petite pincée de fleur de sel, avec ou sans chutney, ketchup et autre confiture.

Acheter directement à la ferme, pour payer le juste prix.

Se méfier des méthodes de transformation. Un foie gras au torchon, par exemple, devrait être fait avec la plus belle partie du foie. Plusieurs transformateurs appellent «torchon» un rouleau fait de chutes de foie gras (les parties qui normalement ne devraient être utilisées que pour épaissir une sauce, par exemple), qu'ils compressent afin de créer un bloc aggloméré. Pire encore, les faussaires vont jusqu'à appeler «foie gras» un foie maigre additionné de gras. Hérésie!

Le Domaine Maurel-Coulombe

1061, rang Sacré-Coeur, Saint-Jean-de-Matha, 450-886-2544, maurel_coulombeyahoo.ca

Yvanne et Martin feront une livraison à Montréal le 4 décembre. Pour en savoir plus, écrivez à maurel_coulombeyahoo.ca. Ils seront également présents au marché de Noël de Joliette, du 9 au 22 décembre.