Farcir la dinde ou pas ? Traditionnellement, il faut farcir, bien sûr, et tant qu'à y être, en faire un à-côté mémorable. La Presse a demandé à deux chefs de revisiter ce complément qui risque fort de voler la vedette aux autres plats de Noël. (sans farce) !

Une coquetterie culinaire

« À l'origine, la farce était composée d'un hachis de viandes, mais elle n'était pas destinée à être mangée », précise l'historien Michel Lambert, auteur d'Histoire de la cuisine familiale du Québec. Cette façon d'apprêter la viande s'est transformée au fil du temps, passant d'un souci esthétique, au départ, à ce que l'on entend aujourd'hui par une bonne farce.Les cuisiniers des nobles chevaliers ont commencé à farcir les oiseaux servis à leur table au Moyen-Âge. Vers l'an 1000, Constance, fille du roi Robert II, du Languedoc, apporta cette coquetterie à la cour de France.

Après avoir retiré les os de l'animal, on utilisait d'autres parties de viande moins appréciées en cuisine pour rembourrer, en quelque sorte, le gibier et éviter qu'il ne s'affaisse. Car, à l'époque, précisons-le, on aimait que le repas ait l'air authentique et fraîchement chassé.

Mettons-y du tousqui

En s'installant à la cour un siècle plus tard, les Normands eurent l'idée de remplacer ces viandes par du pain, ce qui était économique et pratique, surtout pour les volailles qui laissent peu de viande résiduelle pour la « bourrure ».

« Au XVIIe siècle, la France recevait beaucoup de riz, au point que, dans les hôpitaux et les hospices de pauvres, on ne servait souvent que ce féculent aromatisé avec de l'oignon ou des produits laitiers », raconte Michel Lambert. On a ainsi commencé à l'incorporer aux farces.

Graduellement, la farce s'est répandue dans les cours royales d'Europe pour s'étendre à la population générale.

Les Anglais ont commencé à y mettre leur grain de sel, ou plutôt leurs pommes de terre. Les Irlandais y ont ajouté de l'orge ; les Écossais, de l'avoine.

Et parce que, finalement, la chose avait plutôt bon goût une fois imprégnée des jus de la viande, on l'agrémenta peu à peu d'aromates, d'oeufs, d'herbes et d'épices.

Les colons et leurs farces

Au Québec, nos recettes de farces traditionnelles s'inspirent des farces française et anglaise. Les premières étaient composées de pain, de riz ou de pommes de terre, auxquels on ajoutait des abats ou un peu de porc haché, si les abats étaient en quantité insuffisante.

Durant le temps des Fêtes, on s'en servait principalement pour farcir l'oie, et parfois la dinde, les chapons et les canards. Ces façons de faire perdurent aujourd'hui. Selon les régions, l'une de ces versions - anglaise ou française - prédomine. On y a aussi mis notre touche en agrémentant parfois la préparation de pommes.

À Montréal et près des frontières américaine et ontarienne, on cuisine traditionnellement la farce dans sa version anglaise, soit avec une purée de pommes de terre. Dans la région de Québec et dans l'est de la province, le pain prédomine.

Des «épices de Noël» pour aromatiser

Les farces ont souvent un petit parfum de Noël. C'est que traditionnellement, on aromatisait les plats avec trois épices : la cannelle, le clou de girofle et la muscade, des aromates utilisés en France depuis le Moyen-Âge et accessibles aux moins nantis. Les Anglais utilisaient plutôt le gingembre, la cannelle et la muscade.

En raison de leur coût et de leur rareté dans les colonies, on réservait toutefois ces épices à une utilisation médicale afin de donner meilleur goût aux herbes amères qui servaient à soigner les gens, ou encore, aux grandes fêtes de l'année.

Farcir sa dinde, et quoi encore ?

Pourquoi pas des légumes ! Utilisez vos restants pour farcir tomates, courgettes, courges ou poivrons.

Recette de farce façon «Chinatown»

Le chef Minh Phat s'est inspiré des sticky buns asiatiques, ces beignets composés de riz gluant cuit dans des feuilles de banane, pour composer une recette de farce originale où les baies de goji font un clin d'oeil aux canneberges.

Portrait de chef

À 26 ans à peine, Minh Phat dirige les cuisines de l'Orange Rouge, un établissement niché dans le Quartier chinois, qui se distingue par sa cuisine hétéroclite. Il en est aussi copropriétaire depuis 2014 avec son acolyte, Patrick Dumont, premier Occidental à ouvrir un commerce dans ce quartier.

Orange Rouge propose une cuisine hybride et décontractée, influencée par la cuisine familiale de son chef, qui est d'origine chinoise. Ses plats sont aussi teintés par les techniques françaises que Minh Phat a apprises durant sa formation et lors de ses passages dans des restaurants parmi les mieux cotés de la ville, dont Le Filet et Le Club Chasse et Pêche. On s'y rend pour se délecter de plats asiatiques qui sortent des conventions.

Dinde laquée à la Chinatown

INGRÉDIENTS

Laque

• 250 ml de sirop d'érable

• 100 ml de sauce soya

• 200 ml de jus de champignons

• 1 cuillère à soupe de gochujang (pâte de piment fermenté coréen)

• 2 étoiles d'anis étoilé

Farce

• 2 tasses de riz gluant

• 1 tasse de baies de goji déshydratées

• 2 tasses de champignons shiitakés déshydratés

• 2 gousses d'ail, hachées finement

• 1 botte de tiges d'ail, émincées finement

• 1 oignon, en petits dés

• 3 c. à table de sauce soya légère

• 2 c. à table de sauce mirin

• 2 c. à table d'assaisonnement aux cinq épices

• 1 poire asiatique

PRÉPARATION

Laisser tremper les champignons shiitakés dans 6 tasses d'eau et la dinde dans la saumure (1 tasse de sel dans de l'eau) pendant une nuit. Réserver le liquide des champignons.Lorsque les champignons sont réhydratés, les couper en petits dés.

Cuire le riz dans 3 1/2 tasses du jus des champignons restant.

Laisser bouillir, puis baisser le feu au minimum. Couvrir et cuire 15 minutes.

Faire revenir l'ail, les tiges d'ail et l'oignon.

Mélanger tous les ingrédients dans un cul-de-poule avec les assaisonnements.

Farcir la dinde et boucher la cavité avec une poire asiatique.

Porter les ingrédients de la laque à ébullition, et bien mélanger pour un glaçage homogène.

En badigeonner la dinde toutes les 10 à 15 minutes durant la cuisson.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Le chef Minh Phat.

Recette de farce: brandy et mortadelle

En toute simplicité, Graziella Battista a donné son prénom à son restaurant : Graziella. On y sert une cuisine italienne savoureuse, sans prétention, considérée néanmoins comme l'une des meilleures en ville. La chef a accepté de faire partager cette recette familiale, intimement liée aux Noëls de son enfance et à leurs copieux festins.

Portrait de la chef

C'est auprès de sa mère calabraise que Graziella s'est initiée à la cuisine, apprenant d'elle les astuces et les bons gestes qui changent tout. « J'ai toujours eu le nez dans les marmites, précise la chef. Je suis entrée en cuisine par gourmandise, pour faire les plats que je voulais vraiment faire, et je n'en suis jamais sortie. »

Des études en marketing et en économie ainsi qu'un passage dans l'univers de la mode n'auront pas eu raison de sa passion pour la bonne bouffe qui réconforte et met des sourires sur les lèvres. Chez Graziella, son deuxième restaurant ouvert en 2008, elle propose une cuisine inspirée des plats traditionnels italiens. La fraîcheur et la qualité des ingrédients servent la finesse de son savoir-faire. « J'aime recréer des recettes originales, y mettre ma touche et adapter les produits du terroir québécois, dit-elle. Ma curiosité puise son appétit dans de beaux produits ! »

Arrosto di Tacchino farcito (rôti de dinde farci)

INGRÉDIENTS

• 2 poitrines et 2 cuisses de dinde

• 600 g de foies de volaille

• 600 g de mie de pain blanc

• 10 à 12 tranches de mortadelle

• 8 oeufs

• 200 g de Parmigiano râpé

• 3 échalotes françaises

• 8 c. à table de brandy

• 500 g de fond de volaille

• 1 verre de vin blanc sec

• Huile d'olive

• Romarin, persil

• Sel et poivre

PRÉPARATION

Nettoyer et couper les foies de volaille en dés. Ciseler les échalotes et les faire revenir dans l'huile d'olive avec les foies de volaille. Déglacer avec le brandy. Saler, poivrer et mettre de côté.Désosser les cuisses de dinde, au besoin, en gardant la peau intacte. Couper les poitrines sur la longueur pour les ouvrir en papillon. Saler, poivrer et réserver.

Battre les oeufs entiers avec le fromage, ajouter la mie de pain, le persil haché, le sel et le poivre. Laisser reposer 30 minutes afin que la mie de pain absorbe les ingrédients. Verser la préparation dans une poêle antiadhésive, ajouter les foies de volaille et faire cuire comme une omelette. Mettre de côté.

Étaler les cuisses et les poitrines sur une surface de travail, assaisonner. Y déposer les tranches de mortadelle pour couvrir toute la surface, puis la farce. Rouler les poitrines et les cuisses, et les ficeler pour les fermer.

Colorer le rôti dans l'huile d'olive et le romarin, déglacer avec le vin blanc, et ajouter le fond de volaille. Faire rôtir au four à 355 °F pendant 45 à 55 minutes.

Servir avec des croquettes de pommes de terre.