Même si la «talibanisation» du Pakistan et de l'Afghanistan est la menace à long terme la plus sérieuse pour le système international, pour l'heure, la partie de bras de que fer avec l'Iran représente le risque systémique le plus important pour le monde.

Même si la «talibanisation» du Pakistan et de l'Afghanistan est la menace à long terme la plus sérieuse pour le système international, pour l'heure, la partie de bras de que fer avec l'Iran représente le risque systémique le plus important pour le monde.

Alors que règne un climat rappelant étrangement celui qui a précédé la guerre en Irak, il semble qu'on ait très peu réfléchi aux conséquences géopolitiques d'une frappe contre les installations nucléaires iraniennes. Pourtant, de nombreux acteurs politiques, particulièrement aux États-Unis et en Israël, prônent activement cette solution.

Bien qu'un compromis ne puisse être écarté, les discussions des prochains mois tourneront vraisemblablement autour des sanctions, bien que celles imposées par l'ONU à l'Iran en 2006 soient restées essentiellement sans effet, en partie parce qu'elles ont été torpillées par la Chine et la Russie.

La Russie pourrait se montrer plus coopérative que par le passé en reconnaissance de la récente décision américaine d'annuler le déploiement du bouclier antimissile balistique en Europe de l'Est. Mais on peut parier qu'elle profitera des moindres failles pour entretenir des liens étroits avec l'Iran qu'elle a longtemps considéré comme un allié, ne serait-ce que pour éviter un resserrement des liens de l'ancienne Perse avec la Chine.

L'Iran possède 15% des ressources en gaz naturel du monde et 10% de son pétrole. Il est le deuxième fournisseur de pétrole de la Chine. Ces cinq dernières années, des sociétés d'État chinoises ont investi quelque 120 milliards de dollars dans des projets pétroliers et gaziers dans ce pays. Vu l'importance des investissements chinois et la flambée des prix du pétrole que provoquerait sans doute le durcissement des sanctions, la Chine risque encore moins que la Russie d'accepter plus que des sanctions symboliques ou limitées. D'un point de vue géopolitique, la Chine ne considère pas l'Iran comme une menace, mais comme une grande puissance potentielle et un allié dans la région, capable de contrer l'influence politique et l'emprise des États-Unis sur les approvisionnements en pétrole.

À court terme, une attaque aérienne contre les installations nucléaires iraniennes entraînerait une forte poussée des prix du pétrole et un affaiblissement des marchés mondiaux. Les craintes d'un éventuel blocus ou du minage du détroit d'Ormuz, par lequel transitent 40% du trafic pétrolier maritime du monde, l'emporteraient probablement sur la capacité militaire réelle de l'Iran de maintenir un tel siège pendant longtemps. Tout comme ce fut le cas pour l'Irak, la capacité de l'Iran de réagir rapidement et d'infliger des dommages importants à des alliés des États-Unis dans la région a été largement surestimée.

Mais à moyen et long terme, le bombardement de l'Iran déstabiliserait encore davantage le Moyen-Orient et le système international. Peu importe l'ampleur des frappes, fussent-elles chirurgicales, le régime iranien et le gros de la population les prendraient pour une déclaration de guerre et réagiraient en conséquence. L'Iran exercerait tout d'abord des représailles en Irak, où il pourrait faire le plus de dommages, mais aussi en Afghanistan, au Liban et dans les territoires palestiniens. Il pourrait aussi commanditer des actes terroristes en dehors de la région, alors que l'Iran chiite a jusque-là essentiellement évité d'attaquer des cibles en dehors du Moyen-Orient.

Les États-Unis maintiennent un discours optimiste sur l'avenir de l'Irak, mais il y a peu de doute qu'avec le départ des troupes américaines de la région, la guerre civile larvée entre sunnites et chiites et entre Arabes et Kurdes redoublera d'intensité. L'Iran soutient déjà les chiites, mais une intervention encore plus musclée pourrait attirer une riposte de la part des pays sunnites de la région, minerait gravement ce qu'il reste de chances de pacifier ce pays et menacerait probablement la stratégie de retrait des troupes américaines prévue.

Quant à l'effet d'une attaque contre l'Iran sur la politique interne du pays, la dernière élection devrait ouvrir les yeux de ceux qui avaient encore des doutes sur la réalité de la société iranienne, beaucoup plus libérale, ouverte et séculaire que celles du Pakistan, de l'Afghanistan et de l'Arabie Saoudite. Il ne faut pas sous-estimer l'opposition iranienne, et l'Iran pourrait, un jour, devenir un allié important dans les efforts pour stabiliser l'Irak et le reste du Moyen-Orient et contrer le poids des talibans au Pakistan et en Afghanistan. Malgré le régime actuel, les perspectives d'une démocratisation véritable sont beaucoup plus grandes en Iran que dans la plupart des autres pays de la région. Un renforcement du régime à un moment où il perd sa légitimité serait une erreur impardonnable.

De toute manière, selon le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, des frappes chirurgicales ne feraient que retarder le développement de la bombe. On peut présumer que d'autres frappes seraient nécessaires ultérieurement pour essayer d'empêcher l'Iran de compléter le travail.

Bref, même s'il existe un consensus contre le développement, par l'Iran, d'une bombe atomique, bombarder l'Iran serait contraire aux intérêts de la communauté internationale, en particulier des États-Unis. Ces derniers seraient non seulement contraints à porter les énormes coûts d'une troisième guerre dans la région et à en gérer les répercussions en Irak et en Afghanistan, mais aussi pousseraient l'Iran et l'essentiel de l'Irak, avec leurs ressources, dans les bras de la Chine et de la Russie, minant encore davantage leur influence et leur crédibilité dans la région et fermant la porte à une coopération éventuelle avec l'Iran.

Ultimement, une fois passé le temps des négociations, la communauté internationale devra se contenter d'une solution plus réaliste basée sur la coopération et la dissuasion.