Dans les cours d'histoire que je donne au niveau collégial, je me fais un devoir de rappeler aux élèves que les révolutions ne sont pas causées par l'injustice ou par l'oppression, puisqu'alors toutes les sociétés seraient en révolution perpétuelle (ou permanente, pour reprendre l'expression de Trotsky). Elles sont plutôt causées par des écarts relatifs à de conditions juridiques et économiques aggravés par une conjoncture particulière (crise économique, guerre, rupture du contrat social entre les gouvernants et la population).

Dans les cours d'histoire que je donne au niveau collégial, je me fais un devoir de rappeler aux élèves que les révolutions ne sont pas causées par l'injustice ou par l'oppression, puisqu'alors toutes les sociétés seraient en révolution perpétuelle (ou permanente, pour reprendre l'expression de Trotsky). Elles sont plutôt causées par des écarts relatifs à de conditions juridiques et économiques aggravés par une conjoncture particulière (crise économique, guerre, rupture du contrat social entre les gouvernants et la population).

Parmi ces écarts qui forment l'humus des révolutions, l'existence de privilèges (économiques, financiers, juridiques), c'est-à-dire de situations inéquitables avalisées par les lois ou la coutume, est l'un des terreaux les plus fertiles. Qu'on se rappelle qu'un des deux principaux moteurs de la Révolution française fut justement la volonté du tiers État d'abolir les privilèges.

Mais les privilèges ne disparaissent pas forcément suite aux révolutions. Ils ressemblent plutôt à la chienlit, repoussant dès qu'on pense les avoir enfin éradiqués. Ainsi, toutes les sociétés humaines, même les démocraties parlementaires et les soi-disant régimes communistes, sont jusqu'à un certain point des sociétés de privilèges. Et le Québec, malgré son attachement apparent à la social-démocratie, ne fait pas exception. Les passe-droits y fleurissent, à tel point qu'ils sont devenus un obstacle à la saine gouvernance.

Qu'on se rassure : ce texte ne vise pas à condamner les détenteurs de privilèges ou à remettre ceux-ci en question, ni même à discuter de leurs justifications, mais à démontrer leurs effets nocifs, en particulier dans le contexte budgétaire actuel. Voici une liste de quelques-uns de ces privilèges qui ligotent le Québec, tel Gulliver enchaîné:

- les parents qui bénéficient de places à 7 $ dans les garderies, qui ont le double apanage de payer moins que toutes les autres générations de Québécois et de bénéficier d'un tarif à l'abri de l'inflation;

- les étudiants universitaires, qui jouissent de frais de scolarité nettement inférieurs à ceux que paient leurs confrères du reste du Canada et de l'Amérique du Nord;

- les 42% de Québécois qui ne paient pas d'impôts sur le revenu et les entreprises privées qui en sont dispensées;

- les abonnés d'Hydro-Québec, résidentiels comme industriels, qui paient les tarifs les plus bas en Amérique du Nord (eux-mêmes plus bas que les tarifs en Europe).

Le problème avec les privilégiés, c'est qu'ils croient dur comme fer que les avantages dont ils bénéficient sont des droits qu'on ne saurait leur enlever sans injustice. Certains sont conscients d'en avoir hérité alors que d'autres estiment les avoir gagnés, mais cela ne change rien. Les historiens de la Révolution française attribuent généralement à un égoïsme de classe de mauvaise foi le refus des nobles et du clergé de payer des taxes et des impôts, refus qui a forcé Louis XVI à convoquer les États généraux, mais ces favorisés sont en cela pas différents des privilégiés de toutes les autres sociétés, la nôtre y comprise.

Voilà pourquoi il est si difficile, outre l'attitude réfractaire au changement largement répandue dans la population (y compris au sein de la gauche), de mettre des réformes de l'avant. L'attachement au soi-disant «modèle québécois» n'est au fond que la somme des refus d'individus et de groupes sociaux de renoncer à leurs prérogatives. Les vrais progressistes, à toutes les époques, sont les rares individus qui sont favorables aux réformes nécessaires, y compris quand celles-ci menacent leurs privilèges.

Mais quand les leaders n'arrivent pas à convaincre les privilégiés de céder quelques-uns de leurs avantages en faveur du bien commun ou qu'ils n'ont pas la crédibilité pour leur faire avaler la pilule, le changement nécessaire provient alors d'une révolution ou d'une force externe, comme on vient de le voir avec le cas de la Grèce.