Le président afghan Hamid Karzaï vient d'achever une visite de trois jours à Washington qui s'est bien déroulée en apparence. Derrière les sourires de circonstances, le président demeure pourtant un spectateur impuissant face aux contradictions occidentales sur la meilleure stratégie à suivre afin d'établir la paix: renforcer le gouvernement de Kaboul ou décentraliser le pouvoir vers les provinces et les autorités locales.

Le président afghan Hamid Karzaï vient d'achever une visite de trois jours à Washington qui s'est bien déroulée en apparence. Derrière les sourires de circonstances, le président demeure pourtant un spectateur impuissant face aux contradictions occidentales sur la meilleure stratégie à suivre afin d'établir la paix: renforcer le gouvernement de Kaboul ou décentraliser le pouvoir vers les provinces et les autorités locales.

À lire la presse occidentale et surtout américaine, ce débat se déroule essentiellement entre Occidentaux. L'avenir de l'Afghanistan est toujours défini par les autres, et les Afghans en font les frais.

Hamid Karzaï a été choisi et installé au pouvoir par les États-Unis et les membres de la coalition après la chute des talibans à la fin de 2001. Au cours des neuf dernières années, son gouvernement a reçu une aide internationale massive destinée à ce que les spécialistes appellent «la reconstruction et le renforcement de l'État central».

Cette option n'était pas forcément mauvaise. Depuis 1978, les guerres en Afghanistan avaient complètement déstructuré le pays et vidé l'État, du moins ce qui en faisait office, de la plupart de ses pouvoirs. Chefs de guerre, criminels, terroristes, mouvements politiques ont occupé ce vide avec les résultats qu'on connaît: interventions étrangères; coups d'État; mainmise d'Al-Qaeda sur le gouvernement et le territoire.

L'option de concentrer l'aide internationale sur la reconstruction de l'État avait soulevé quelques objections à l'époque, mais elles furent vite balayées. Un pouvoir fort, disaient les experts, permettrait de rétablir l'autorité sur le système politique et l'ensemble du territoire.

Parachuté président, Karzaï favorisait cette option d'autant plus qu'elle lui assurait des ressources afin de récompenser ses amis et de bâtir une base politique et une clientèle. On s'est aperçu rapidement des effets pervers du système: concentration excessive du pouvoir à Kaboul et au sein du clan Karzaï, corruption, marginalisation des provinces.

Les conséquences sont vite apparues. Par exemple, dans certaines provinces, des gouverneurs n'ont jamais reçu d'argent, et les fonctionnaires de l'État sont absents. Comment alors se surprendre si le président afghan est qualifié de «maire de Kaboul», que son pouvoir ne dépasse pas les alentours de la capitale et que les talibans réussissent à conquérir du terrain et à passer des alliances avec les laissés-pour-compte.

La nouvelle stratégie de contre-insurrection adoptée l'an dernier afin de renverser les gains des insurgés consiste à combattre agressivement les talibans tout en travaillant au développement local. Il s'agit de gagner les coeurs et les esprits et de renforcer les pouvoirs locaux.

À cet effet, la coalition internationale exerce un maximum de pression sur Kaboul pour forcer une décentralisation des pouvoirs et une redistribution des ressources. Bien entendu, cela ne fait pas l'affaire de tous, le président afghan en tête. Dans les pages des grands quotidiens, experts et praticiens occidentaux se livrent une belle bataille intellectuelle sur la voie à suivre. Ils semblent tous savoir ce qui est bon pour les Afghans. À la notable exception d'un texte du président Karzaï - écrit pour plaire aux lecteurs américains -, je n'ai pas recensé une seule analyse de cette nouvelle orientation par un Afghan ou un spécialiste originaire de la région.

La schizophrénie qui teinte les efforts de l'Occident pour remettre sur pied l'Afghanistan transforme ce pays en un vaste champ d'expérimentation qui a et qui aura des conséquences pour la population locale.

Edward Luttwak, un des meilleurs analystes des guerres asymétriques, remarquait il y a peu que la nouvelle stratégie fondée sur l'augmentation du nombre de soldats occidentaux et la mise en oeuvre de principes de bonne gouvernance mettrait «un ou deux siècles» à produire des résultats compte tenu des caractéristiques particulières du pays et de ses classes dirigeantes. Et rien de dit que ces résultats seraient probants. Il suggère de retirer les troupes, d'armer les ennemis des talibans et de laisser les Afghans à leurs us et coutumes. Il y a là matière à réflexion.