Maintenant que le premier ministre Charest a abandonné le supplément de salaire de 75 000$ que lui versait son parti, l'étude du projet de loi 48 sur la création d'un code et d'un commissaire à l'éthique devrait bientôt pouvoir débuter. La discussion sur l'éthique que nos parlementaires s'apprêtent à entreprendre doit le plus possible être dégagée de considérations partisanes.

Maintenant que le premier ministre Charest a abandonné le supplément de salaire de 75 000$ que lui versait son parti, l'étude du projet de loi 48 sur la création d'un code et d'un commissaire à l'éthique devrait bientôt pouvoir débuter. La discussion sur l'éthique que nos parlementaires s'apprêtent à entreprendre doit le plus possible être dégagée de considérations partisanes.

Ceci doit être l'occasion de mettre un terme à l'actuel jeu de surenchère par lequel les forces partisanes cherchent à faire monter la barre de l'éthique en politique à des niveaux toujours plus élevés dans le seul but de gagner des votes.

Car à ce jeu, tout le monde y perd à long terme. Pour des motifs purement électoralistes, la barre de l'éthique en vient à monter à des niveaux quasi surhumains auxquels seules les divinités peuvent aspirer. Pour les modestes humains que sont les politiciens, des exigences éthiques irréalistes - et donc vouées à être non respectées - ne peuvent que produire déception et cynisme.

La recherche aux États-Unis montre que plus les gouvernements se dotent de règles d'éthique nombreuses et contraignantes, plus la confiance des citoyens dans les institutions est faible. Car une fois mises en place, les règles deviennent politisées: elles fournissent des ressources que les partis utilisent comme des armes de combat pour discréditer leurs adversaires.

Cette politisation donne alors lieu à un processus d'autorenforcement qui prend généralement la forme suivante:

- plus il y a de règles, plus les politiciens les utilisent pour s'accuser mutuellement de ne pas les avoir respectées;

- ces allégations se retrouvent invariablement dans les médias, car les histoires de scandale politique se vendent bien;

- plus les citoyens sont alors exposés à des nouvelles déprimantes concernant le manque d'éthique de leurs élus;

- plus ils croient qu'il y a une crise éthique;

- plus ils demandent que leur gouvernement adopte des règles d'éthique plus strictes.

Et ainsi procède le cercle vicieux de la politisation des règles d'éthique dont l'exemple américain nous enseigne qu'il est très difficile de se sortir. Depuis Watergate, les États-Unis sont le pays où l'éthique des élus et des hauts fonctionnaires est la plus fortement régulée et c'est aussi l'endroit où la confiance des citoyens dans les institutions est la plus basse au monde.

Dans ce processus, les politiciens sont comme pris entre l'arbre et l'écorce. D'une part, ils savent ou soupçonnent que la régulation de l'éthique est comparable à l'usage de la cigarette : ce n'est pas très bon pour leur santé. Cela fournit des armes que leurs adversaires utilisent pour salir leur réputation et contribue à générer de la méfiance à leur endroit.

Mais en même temps, personne n'avouera en public que l'adoption de règles d'éthique ne constitue peut-être pas le remède miracle à tous les maux qui affligent les démocraties contemporaines. Car en politique, l'éthique est comme la maternité et la tarte aux pommes : on en veut toujours plus et il est difficile de s'y opposer. L'élu qui afficherait son scepticisme face à la régulation de l'éthique et à ses effets serait soupçonné «d'avoir des choses à cacher».

Une façon d'éviter le piège de la politisation est de faire en sorte que le député qui formule des allégations de contravention aux règles contre un adversaire et demande au commissaire de faire enquête, soit lui-même soumis à des obligations éthiques lui interdisant de rendre publique la nature, de même que l'identité, de la personne visée par sa plainte.

Trop souvent, les allégations de violation des règles contre un député sont annoncées publiquement en grande pompe et ensuite largement reprises à la une des médias. Mais lorsque la nouvelle s'évanouit et qu'après quelques mois d'enquête le commissaire conclut que les règles ont été respectées, presque personne n'en parle. L'opinion publique se souviendra surtout des allégations de contravention aux règles et entre temps, c'est toute la réputation du député visé par celles-ci qui est souillée.