À l'occasion des Francofolies de Montréal, de nombreux artistes français viennent au Québec partager le fruit de leur labeur musical. Il est surprenant de constater que certains d'entre eux s'aventurent, dans leur propre création, à chanter en anglais.

À l'occasion des Francofolies de Montréal, de nombreux artistes français viennent au Québec partager le fruit de leur labeur musical. Il est surprenant de constater que certains d'entre eux s'aventurent, dans leur propre création, à chanter en anglais.

Ce fait troublant ne manque pas d'être souligné à la radio, à la télévision par des chroniqueurs culturels. Pourquoi chantez-vous en anglais? La question est légitime, mais elle me semble mal formulée.

Dans son article «En anglais dans le texte», Marie-Christine Blais analysait le phénomène. Les réponses fournies par ces artistes sont assez classiques: elles oscillent entre la volonté d'attaquer un marché plus vaste (le rêve américain) et la facilité qu'offre l'anglais à exprimer ses émotions.

Les artistes français et les Français en général ont toujours eu une relation particulière, voire difficile, avec la langue anglaise. Vue du Québec, l'étrangeté de cette relation saute davantage aux yeux. Nous sommes conscients de l'utilisation abusive d'anglicismes par les Français (de parking à jogging en passant par ticketing, la liste est trop longue à énumérer) et de la disparition des «th» au profit des «z» dans l'anglais parlé. Sans oublier, bien sûr, les expressions consacrées. Quand ma mère, Française, me demande d'aller lui chercher un sweet parce qu'elle a froid, je sais parfaitement qu'elle fait référence à un sweat-shirt.

L'ensemble est risible, c'est devenu une marque de commerce, un trait culturel. Tout le monde s'en accommode parfaitement. Quoi de plus de drôle que d'écouter des Français parler en anglais (parfois entre eux). L'anglais est mal parlé, voire mal traité, jusque-là rien de nouveau. Il en va de même dans les chansons françaises. Le malaise est plus profond lorsque ces déformations linguistiques mènent à une forme d'incompréhension. Quand le Français pense (et il en est persuadé) qu'il parle vraiment l'anglais (alors que seuls les Français le comprennent).

Le phénomène est inquiétant dans la mesure où il génère une impasse linguistique dont les répercussions se font sentir, non pas sur l'anglais, forteresse imprenable, mais sur la langue française elle-même. Quand en France, on peut demander, sans que personne ne sourcille, une french manucure, que des titres de films américains sont traduits en... anglais pour un public... français (The Killers devient Kiss and Kill! par exemple) ou encore, comme le remarquait Marie-Christine Blais, que l'anglais occupe une place trop importante aux Victoires de la musique, nous sommes déjà rendus ailleurs.

Cette impossibilité linguistique n'est en rien féconde. Elle évide la langue française sans rien lui apporter. Et c'est ce qui est choquant. Nous avons toutes les raisons de déplorer cet appauvrissement permanent de notre langue. Cet anglais que les artistes français utilisent, parce qu'il n'existe pas, les condamne à l'instar du dernier homme nietzschéen, à errer.

La question de nos journalistes ne devrait pas être «pourquoi en tant qu'artistes français, chantez-vous en anglais?» mais «pourquoi utilisez-vous un anglais qui n'existe pas?».

Si chanter en français au Québec est, selon Gilles Vigneault, un geste politique, quel geste ces artistes français posent-ils mais surtout, et c'est le plus important, à qui s'adressent-ils?