Chut, ne le dites pas trop fort que Montréal et ses vieux quartiers offrent probablement une des meilleures qualités de vie de la région métropolitaine, incluant les petits bungalows des banlieues reculées plantées entre deux champs de maïs et un odorant et bucolique clos à vache...

Chut, ne le dites pas trop fort que Montréal et ses vieux quartiers offrent probablement une des meilleures qualités de vie de la région métropolitaine, incluant les petits bungalows des banlieues reculées plantées entre deux champs de maïs et un odorant et bucolique clos à vache...

Ne le dites pas trop fort non plus que je me lève à 7h tous les matins pour entrer au travail à 8h30, et que mon petit plaisir est d'écouter s'égosiller les chroniqueurs circulation en route vers un burnout assuré... et de constater qu'ils sont des milliers et des milliers à faire le pied de grue sur le passéiste réseau routier de la région métropolitaine (que voulez-vous, on est loin des surplus d'autoroutes de la capitale, Québec, et de celles à six voies de l'autre capitale, Ottawa, deux agglomérations qui, prises ensemble, n'atteignent même pas la population métropolitaine). À cause de ce réseau, des gens se tapent deux heures de char par jour de plus que moi... Cela équivaut en un an à 14 semaines... Imaginez le nombre d'apéros.

Ne le dites pas non plus que plusieurs sont heureux de voir la ville se décompresser d'une trop grande densité... Dans Rosemont au tournant des années 70, il y avait 190 000 résidants, aujourd'hui 134 000. L'arrondissement est encore tout de même la huitième plus grande population municipale de la province. Depuis quatre ans, la vente de permis de construction ou de rénovation bat son propre record année après année... Les gens s'arrachent tout nouveau développement résidentiel.

Ne le dites pas... Ou bien dites-le que le prix des jumelés avec grande cour arrière et stationnement devant a plus que triplé depuis les 15 dernières années. Je prends mon vélo pour aller travailler, en tout quatre kilomètres à l'aller, à peine le temps de suer. Depuis deux ans, je peux même utiliser le Bixi pour 65 piastres par année.

Bien sûr, les jeunes familles quittent, semble-t-il, mais bon, comme leurs prédécesseurs et leurs «ancêtres» il y a 40 ans, ils s'apercevront tôt ou tard des frais cachés et cumulatifs liés à leur rêve bucolique d'élever leurs enfants dans un environnement si sain, paraît-il... entre deux poulaillers et trois nuages de monoxyde de carbone, et ils ne le savent peut être pas encore, mais ils devront aller loin en cr... pour trouver à prix abordable de si jolies contrées imaginaires tout droit sorties des émissions de La Petite Pouliche qui a probablement bercé leur enfance. Du soleil vert rabâché que tout cela.

Je leur dis: allez étaler votre mal de vivre ailleurs, si vous le désirez, moi, je reste en ville, une ville qui n'est plus non plus l'arrière-cour exigüe des Belles-soeurs des années 60 ou d'Yvon Deschamps, dans Dans ma cour. Drôle d'exode, si vous voulez mon avis, et pourtant, chaque semaine, un agent immobilier m'appelle pour me dire qu'on veut acheter ma maison à un prix fort respectable. Ce prix, il s'est constitué en partie par un certain rattrapage, bien sûr, mais aussi parce qu'il y a plein de monde qui veulent rester en ville, car ils savent quelle folie représente l'exode lointain. Mais moi, je résiste à cette pression immobilière et je veux rester en ville.

Mes enfants, élevés à travers les avenues, ont eu accès à pied aux meilleures écoles du Québec et ont maintenant le choix, à portée de métro, de toutes les grandes universités de la ville, où tous les banlieusards rêvent d'envoyer leurs enfants géniaux. Eh non, mes enfants ne sont pas devenus des criminels qui n'attendent que le passage des banlieusards pour les jeter hors de leurs véhicules, les battre et, qui sait, leur voler leurs portefeuilles si épais. Ne parlez surtout pas à mes enfants de déménager, ils ont la ville dans le sang, enfouie au plus profond de leurs gênes, et pourtant s'ils sont nés ici, leurs parents sont des expatriés de régions lointaines du Québec.

Je pourrais vous inviter à venir prendre l'apéro chez moi, car il n'y a pas que Christophe-Colomb, il y a aussi les jolies rues autour avec tous les services à proximité, et à pied! Même le dépanneur d'en face livre la bière directement chez vous (pour mon beau-frère de Trois-Rivières, cela a toujours relevé du grand luxe, lui qui a aussi voyagé aux quatre coins de la planète). Je vous parlais donc de venir prendre l'apéro, bien sûr dès 17h, c'est possible. À Lavaltrie, ce ne serait pas avant 19h...

Tout cela pour dire en fait que la ville offre encore de nombreux avantages et demeure, à mon avis, encore fort compétitive par rapport à la lointaine banlieue. Montréal, à certains égards, c'est Gershwin, c'est le jazz, ce sont les cordes à linge qui se balancent de l'esthétisme puritain et, demain, ce sera la grosse Fête nationale dans ma cour... ou presque, dans ce magnifique parc Maisonneuve tout vert.

Cela étant dit, l'étalement est un phénomène tout à fait normal, en ce sens qu'il n'y a effectivement plus autant de places pour demeurer en ville, nous sommes déjà pas mal de monde, et qu'il faut trouver des solutions, dont les banlieues. Évidemment, le réseau de transport est archaïque et a été développé à courte vue, une vue si courte qui ne permet pas à Ottawa ou à Québec de voir plus loin que le bout de leur parlement. Je suis encore éberlué quand on me dit qu'il n'y a pas encore de desserte ferroviaire efficace entre Repentigny et le centre-ville. Je l'étais déjà il y a 20 ans, imaginez aujourd'hui...

Cheers!