Je vais vous raconter une petite histoire qui, à première vue, semble surréaliste, voire fantastique, mais qui est tout aussi réelle que je l'ai vécue. Une fin de semaine constituée de manifestations contre le G20 effectuées de façon pacifiste par moi et ceux qui m'accompagnaient.

Je vais vous raconter une petite histoire qui, à première vue, semble surréaliste, voire fantastique, mais qui est tout aussi réelle que je l'ai vécue. Une fin de semaine constituée de manifestations contre le G20 effectuées de façon pacifiste par moi et ceux qui m'accompagnaient.

Le tout a tourné au vinaigre dimanche matin à 9 h 40 dans le quartier chinois de Toronto alors que nous nous apprêtions à aller déjeuner. Une vingtaine de policiers à vélo nous ont interceptés et, sur le champ, nous ont demandés de nous coucher sur le sol, sans quoi ils nous forceraient à le faire.

Plusieurs des policiers nous ont littéralement dit qu'ils auraient bien aimé nous croiser dans une ruelle, un endroit facilitant la manutention des suspects. Le premier policier qui s'est occupé de moi m'a dit à plusieurs reprises: «You are a fucking piece of shit and Toronto doesn't want stupids French Canadians here anymore.» Je me suis fait dire, comme cela fut le cas pour la grande partie des suspects: «Who should I call after your death?» Une question qui ne semble pas très sympathique, pas très légale, et ne pas correspondre aux droits et libertés que notre grande constitution canadienne nous offre. Humiliations et menaces étaient au rendez-vous et cela continuera pendant mes 32 heures de détention.

Nous sommes ensuite embarqués dans le camion de police où nous avons croupi pendant quatre longues heures sans trop savoir ce qui se passait. Nous avions si hâte de sortir de ce panier à salade. Mais rendus à la prison, située dans un ancien studio de production cinématographique, nous avons réalisé que le pire était à venir. Les «fucking French Canadians» allaient devoir attendre dans l'angoisse et le stress pendant des heures interminables dans une prison qui ressemblait étrangement à tout ce que nous avons vu en Afghanistan ou à Guantanamo. Mais non, on était à Toronto, une ville qui finira rapidement par être baptisée... Torontanamo.

Nous étions 25 entassés dans une cellule clôturée de cinq mètres par cinq mètres. On y retrouvait une seule toilette, qui n'avait pas de porte à l'avant, question de faire nos besoins devant la police et nos camarades. Une mesure d'humiliation qui sera probablement justifiée par le fait que nous aurions pu nous y cacher pour commettre un quelconque acte. Mais quel genre d'actes aurions pu y commettre puisque nous avions tous les mains attachées avec des «tie rap»?

En plus, plusieurs d'entre nous n'avaient plus de souliers dans les pieds, sous prétexte que le cordon de nos souliers aurait pu servir d'arme. Effectivement, un cordon de soulier peut faire de grands dommages lorsqu'il est utilisé contre les forces de l'ordre...

Au milieu de l'après-midi, mon premier repas, digne des grands dignitaires, me sera servi. Deux tranches de pain blanc tartinées de margarine avec une tranche de fromage de soya et une ration d'eau d'environ 100 millilitres. En 32 heures de détention, je mangerai quatre fois ce repas qui, à mon humble avis, ne serait pas approuvé par Santé Canada, et j'aurai droit à quatre maigres rations d'eau.

J'attendais qu'on vienne me cher cher pour savoir ce pourquoi on allait m'accuser. Ma première faute : porter un costume pouvant mener à des actes criminels. De quoi était-il composé? Un foulard pro-Palestine, un chandail noir du groupe de musique Against me, des lunettes de natation pour éviter de recevoir des gaz lacrymogènes, une petite laine noire et rouge avec le nom d'une compagnie de planche à roulettes. Il ne s'en fallait pas plus, j'étais un criminel, un membre officiel du Black Bloc, et je devais être traité comme un taliban. Ah, ce Canadian Way of Life, comme il me semblait si loin.

À 21h, j'attendais déjà depuis 12 bonnes heures d'être interrogé. Certains d'entre nous partaient et ne revenaient pas, d'autres revenaient avec des accusations, les plus diverses une que l'autre. À Toronto, une ville qui finira rapidement par être baptisée Torontanamo, en référence à Guantanamo.

D'autres, plus chanceux dans leur malchance, partaient plus rapidement puisqu'ils avaient été tabassés par la police. Un d'entre eux aura eu huit points de suture au menton, un autre plusieurs pansements au visage puisqu'il saignait abondamment. Bref, les animaux de la ferme attendaient toujours de passer devant la cour.

Plusieurs personnes n'auront pas eu la force de passer au travers de cette rude épreuve. Des amis à moi se seront littéralement écroulés en larmes dans la cellule, d'autres auront crié de toutes leurs forces leur incompréhension. Mes amies m'auront même raconté qu'elles se sont fait dire à de multiples reprises: «You know that you could be raped in jail?» Heureusement, aucune d'entre elles n'a été violée, et je ne crois pas non plus que cela aurait pu se produire, car nous parlons bien d'intimidation ici.

Mais jusqu'à quel point peut-on réellement anéantir un individu, un citoyen canadien, dans un pays qui prétend offrir la crème des droits et libertés? La limite, elle fut franchie à Torontanamo ce week-end, et elle continue toujours, puisqu'il reste encore des potentiels suspects à l'intérieur de cette prison.

Chose intéressante, un suspect torontois qui était dans la même cellule que moi, et qui a été arrêté pour possession d'arme, me disait qu'il n'avait rien avoir avec le G20, et qu'il s'en contrefoutait de nos revendications. Il me disait que dans une réelle prison, les conditions de détention sont radicalement meilleures. Il aura demandé aux policiers une dizaine de fois d'être déporté dans une prison en avouant son crime, car il ne se pouvait plus dans cette cellule.

Pendant ma nuit de détention entre dimanche et lundi, nous avons eu droit à une mauvaise surprise. Aucune couverture ne nous a été offerte et nous avons dû dormir sur le sol en béton. Comme si cela n'était pas assez, la froideur des lieux allait se transformer en un immense congélateur. La climatisation de la prison allait rendre nos conditions de détention des plus pénibles. C'est pourquoi nous avons demandé à un agent de nous apporter des couvertures. Ce qu'il nous répondra donne froid dans le dos: «Nous ne voulons pas vous donner de couvertures, car vous allez vous donner un malin plaisir à vous pendre avec.» Solidarité oblige, nous avons tous dormi collés l'un sur l'autre en grelotant.

Après 28 heures de détention, ce qui est illégal lorsque l'on est détenu sans preuve, j'ai finalement été interrogé. Tout s'est bien déroulé, le sergent n'était pas oppressif, comme la grande majorité d'entre eux, et j'ai ensuite passé à la fouille à nu. Était-ce vraiment nécessaire que je me balade nu devant des policiers qui me regardaient en me dénigrant ? Tout comme le fait que plusieurs filles se soient dévêtues devant certains policiers hommes, qui s'en sont donnés à coeur joie de les observer ?

Je quitterai finalement ma cellule vers 14h le lundi, sans avoir pu recourir à un avocat, et après avoir subi ce calvaire, après avoir été un phénomène de cirque, après avoir été traité comme un «stupid French Canadian», après avoir été considéré comme un terroriste, un conspirationniste, un membre officiel du Black Bloc.

Aucune accusation n'a été retenue contre moi, et en signant la paperasse de libération, j'ai tenu à dire au sergent que mes droits avaient été entièrement bafoués à l'intérieur de cette maudite prison, et que je n'avais même pas eu droit à un avocat. Sa réponse? «You wanna go back in jail, Mr. Lamoureux?» À cela, je lui ai répondu en tremblant, «No, but I will see you eventually in court for all you've done to us.»

* L'auteur est un étudiant montréalais qui a été arrêté le week-end dernier, à Toronto, où se déroulait le sommet du G20. Il nous raconte son expérience en détention.