Le gouvernement conservateur a déposé en juin le projet de loi C-32 modifiant la Loi sur le droit d'auteur. On y cherche en vain l'équilibre promis «entre les intérêts des consommateurs et les droits des créateurs».

Le gouvernement conservateur a déposé en juin le projet de loi C-32 modifiant la Loi sur le droit d'auteur. On y cherche en vain l'équilibre promis «entre les intérêts des consommateurs et les droits des créateurs».

Sous prétexte de moderniser la loi et de légaliser les usages actuels, le gouvernement écarte les principes de base du droit d'auteur que sont le droit exclusif de l'auteur d'une oeuvre d'en autoriser la reproduction et l'exécution en contrepartie de redevances. En effet, il y multiplie les nouvelles exceptions au profit des consommateurs, des maisons d'enseignement et des bibliothèques sans y prévoir de contrepartie monétaire pour le créateur.

Certes, au nom d'intérêts prépondérants, des exceptions au droit d'auteur peuvent être consenties, mais en vertu des traités internationaux auxquels a adhéré le Canada, il doit s'agir de «cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du détenteur de droit» (ADPIC art. 13 et Convention de Berne art. 9).

Comme les exceptions constituent une expropriation du créateur de son droit de propriété, elles sont généralement assorties d'une rémunération équitable. C'est le cas partout, mais pas au Canada. Le gouvernement canadien a choisi une voie «canadienne» unique en son genre, qui nie tant les droits des créateurs que la gestion collective en faisant prévaloir les demandes des utilisateurs.

Ainsi, le projet de loi inclut une «utilisation équitable» pour des fins d'éducation. À cause de l'incertitude entourant ce libellé, les tribunaux devront trancher sur sa portée. D'ici là, les titulaires de droit et les enseignants vivront dans l'incertitude. Il existe actuellement des ententes entre les sociétés de gestion et les établissements d'enseignement qui balisent l'utilisation des oeuvres.

Dans le cas des oeuvres littéraires, une entente négociée entre les parties existe depuis 1982. Elle est administrée par Copibec. Les 175 millions de copies effectuées annuellement dans les écoles, les cégeps et les universités se traduisent par des redevances de 9 millions de dollars pour les auteurs de textes, les illustrateurs et autres artistes, de même que leurs éditeurs. Pourquoi remettre en question un système qui a fait ses preuves depuis près de 30 ans?

Avec ce projet, le législateur permet aussi à une maison d'enseignement d'utiliser une oeuvre accessible sur internet, c'est-à-dire une oeuvre non protégée par une mesure technique comme un verrou numérique ou sans un avis bien visible stipulant que ce genre d'utilisation est interdit. Le seul symbole de droit d'auteur © devient insuffisant.

Les ministres de l'Éducation du Canada, à l'exception du Québec, prétendent que cette disposition est nécessaire pour éviter que les enfants ne soient traités comme des criminels. Pourtant, aucune société de gestion ou titulaire de droit n'a encore poursuivi au Canada, un enfant de 7 ans, son école ou ses parents parce qu'il avait reproduit de l'internet, l'image d'un chien ou d'une tige de blé dans un travail scolaire.

Cette mesure fait porter sur le titulaire le fardeau de verrouiller ses oeuvres ou d'y ajouter des avis, contrairement à la norme existante qui prévoit qu'une utilisation qui n'est pas permise est interdite.

Désormais, ce qui n'est pas interdit sera permis. On créera ainsi toute une génération d'utilisateurs des nouveaux médias ignorante des principes de base en matière de respect de la propriété intellectuelle. Est-ce si difficile d'éduquer en milieu scolaire? Doit-on obliger les créateurs à cadenasser leurs oeuvres alors qu'ils veulent simplement en permettre l'accès dans le respect de leurs droits?

Des titulaires de droits ont déjà choisi de mettre gratuitement à la disposition des écoles des millions d'oeuvres par le biais des licences Creative Commons. Pourquoi alors créer une nouvelle exception?

* L'auteure est directrice générale de Copibec, une société de gestion collective qui administre, au nom des auteurs, des artistes en arts visuels et des éditeurs, les droits de reproduction sur support-papier ou numérique des livres, de même que des articles de périodiques et de journaux.