Pour régler le problème soulevé par l'invalidation, par la Cour suprême, de la loi 104, qui prévoyait que la fréquentation des écoles privées non subventionnées, actuellement non assujetties à la Charte de la langue française, ne donnerait plus accès à l'école publique anglophone, le Conseil supérieur de la langue française proposait au gouvernement, il y a quelque temps, d'assujettir ces écoles à la loi 101.

Pour régler le problème soulevé par l'invalidation, par la Cour suprême, de la loi 104, qui prévoyait que la fréquentation des écoles privées non subventionnées, actuellement non assujetties à la Charte de la langue française, ne donnerait plus accès à l'école publique anglophone, le Conseil supérieur de la langue française proposait au gouvernement, il y a quelque temps, d'assujettir ces écoles à la loi 101.

L'actuel gouvernement du Québec, formé par le Parti libéral, a refusé cette solution en invoquant la crainte que l'application de la loi 101 à ces écoles (dites «écoles passerelles») ne soit contestée comme contraire à certains droits garantis par la Charte canadienne (ou la Charte québécoise). À l'inverse, le Parti québécois voudrait que la loi 101 s'applique aux écoles privées non subventionnées anglophones (ce qui signifierait que les seuls parents ayant le droit d'y envoyer leurs enfants seraient ceux qui ont déjà le droit de les envoyer à l'école publique anglophone) et, de plus, il demande que cette application de la loi 101 à ces écoles soit préventivement protégée contre l'application de la Charte canadienne par une clause de dérogation, dite «clause nonobstant» (en fait, selon cette logique, il faudrait également une clause de dérogation pour écarter l'application de la Charte québécoise). Pour les raisons expliquées ci-dessous, je pense que les deux positions sont inappropriées l'une et l'autre.

Il est vrai que l'application de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées pourrait être contestée sur la base de l'article 15 de la Charte canadienne, interdisant la discrimination. En effet, elle créerait des distinctions, fondées sur la langue, en ce qui concerne l'accès à ces écoles. La langue, bien que non mentionnée comme motif prohibé de discrimination à l'article 15, est très probablement un motif «analogue», comme la Cour suprême l'a laissé entendre dans l'affaire Gosselin (dans laquelle les dispositions de la loi 101 relatives à l'admission dans les écoles publiques anglophones étaient contestées sur le fondement à la fois de l'article 15 de la Charte canadienne et de l'article 10 de la Charte québécoise, interdisant également la discrimination). Dans cette affaire Gosselin, la Cour a rejeté l'argument de la discrimination parce que la loi 101 contient, pour ce qui est de l'accès à l'école anglophone publique et privée subventionnée, les mêmes distinctions que celles contenues dans l'article 23 de la Charte canadienne et que, dès lors, les distinctions contenues dans la constitution elle-même ne pouvant pas être inconstitutionnelles, elles ne peuvent pas l'être davantage lorsqu'elles sont reprises dans une loi provinciale.

Mais en l'occurrence, cette «immunisation» des catégories constitutionnelles (reprises dans la loi 101) contre une contestation fondée sur l'article 15 valait pour autant qu'elles s'appliquent à l'accès à l'école publique.

Vaudrait-elle également si ces mêmes distinctions étaient rendues applicables pour l'accès à l'école privée non subventionnée, alors que l'article 23 de la Charte canadienne ne vise pas ces dernières en tant qu'écoles à l'égard desquelles existe le droit d'envoyer ses enfants, même si la Cour suprême du Canada a jugé, dans l'arrêt Nguyen (invalidant la loi 104), qu'il les vise en tant qu'écoles dont la fréquentation crée le droit d'envoyer ses enfants dans les écoles anglophones publiques? Toute la question est là. Elle est loin d'être simple et il serait bien imprudent de parier sur la réponse que la Cour suprême donnerait si le problème lui était soumis.

Ensuite, l'article 7 de la Charte canadienne, garantissant notamment le droit à la liberté, a été interprété par la Cour suprême dans l'arrêt Jones comme comprenant le droit de prendre les décisions relatives à l'éducation de ses enfants, en l'espèce, celle de leur donner une instruction à la maison pour des raisons de conviction religieuse. A priori, on peut imaginer que les décisions relatives à l'instruction des enfants ainsi protégées pourraient également porter sur la langue d'enseignement. Sur ce point, à défaut de réponses dans la jurisprudence canadienne, on peut raisonner par analogie avec le droit international des droits de la personne, en vertu duquel il faut distinguer (a) le droit des parents de faire donner à leurs enfants une instruction dans leur langue maternelle; (b) le droit des parents de faire donner à leurs enfants une instruction dans une langue autre que leur langue maternelle et autre que la langue officielle du pays de résidence (ce qui serait le cas des francophones ou des allophones vivant au Québec et désireux de faire instruire leurs enfants en anglais plutôt qu'en français).

Le droit international ne reconnaît de façon certaine aucun de ces deux droits, mais le premier (droit à l'instruction dans la langue maternelle) paraît évidemment plus plausible, et plus digne d'être protégé, que le second (droit à l'instruction dans une langue considérée par les parents comme plus désirable pour des raisons de réussite sociale ou pédagogique des enfants). Si une telle distinction était reprise par les tribunaux canadiens, elle pourrait peut-être leur faire conclure à l'existence d'un droit d'envoyer ses enfants dans une école privée non subventionnée anglophone, mais uniquement au profit de ceux dont l'anglais est la langue maternelle (les immigrants anglophones par opposition aux immigrants allophones et aux francophones québécois!).

En conclusion, il existe certaines possibilités que l'application de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées soit considérée comme restreignant un droit ou une liberté, mais cette possibilité semble mince et, en tout cas, hypothétique.

L'aspect de la question qui semble plus intéressant et plus important est celui du partage des responsabilités entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir politique. Le fait de renoncer, comme le fait le gouvernement du PLQ dans le projet de loi 103, à un choix politique important pour la simple raison qu'il puisse éventuellement être contesté comme contraire aux chartes constitue une démission du politique et une «fétichisation» des droits et libertés.

Par ailleurs, l'utilisation préventive de la clause nonobstant, préconisée par le Parti québécois, empêcherait tout débat devant les tribunaux et dispenserait le pouvoir politique du devoir de justifier la compatibilité de ses choix avec les droits et libertés. Et l'on peut souligner que le principal discours justificateur du contrôle de constitutionnalité, utilisé par la Cour suprême du Canada, à savoir la «théorie du dialogue», encourage précisément le législateur à adopter des politiques même si elles présentent des aspects entrant potentiellement en conflit avec les chartes, dans la mesure où cela donnera, le cas échéant, aux tribunaux l'occasion de lui indiquer d'autres façons de parvenir au résultat recherché, mais constituant une atteinte moindre aux libertés, le législateur ayant par la suite l'occasion de corriger son action en fonction - ou non - des indications des tribunaux, ou encore de choisir, à ce moment-là, et après mûre réflexion et débat, d'utiliser la «clause nonobstant» pour maintenir intacte sa politique.