Il est possible de produire une nouvelle interprétation de l'histoire des partis politiques en délaissant les idées, les programmes et les hommes politiques pour tourner notre attention vers les bases sociologiques du comportement électoral et les valeurs sous-tendant celui-ci. On découvrira ainsi l'existence de «systèmes électoraux» qui rythment l'histoire de la vie politique.

Il est possible de produire une nouvelle interprétation de l'histoire des partis politiques en délaissant les idées, les programmes et les hommes politiques pour tourner notre attention vers les bases sociologiques du comportement électoral et les valeurs sous-tendant celui-ci. On découvrira ainsi l'existence de «systèmes électoraux» qui rythment l'histoire de la vie politique.

Le pari proposé par François Legault et consorts de mettre de côté la question nationale pour s'attaquer aux problèmes qui minent le Québec (les finances publiques, la santé, l'éducation, la productivité) pourrait se révéler un brillant calcul, qui donnerait naissance à un cinquième système électoral depuis la mise en place de la fédération canadienne, en 1867.

Le premier de ces systèmes, le «système post-AANB», s'étend de 1867 à 1896. Il se caractérise par le bipartisme et par l'hégémonie du Parti conservateur, qui est le parti de gouvernement pendant 25 années sur 30. L'affaire Riel fait vaciller ce système électoral quand Honoré Mercier, un libéral, fonde un parti de coalition, le Parti national, qui dirige la province de 1887 à 1891, mais disparaît rapidement à la suite du scandale de la Baie des Chaleurs.

Le second système, dit «libéral», dure de 1897 à 1936, alors que le Parti libéral monopolise le pouvoir sous les premiers ministres Marchand, Parent, Gouin et Taschereau, reléguant les conservateurs dans les limbes éternels de l'opposition. Les gouvernements pratiquent le laisser-faire et s'intéressent principalement à la création d'emplois par le développement économique.

Cette mutation ouvre la voie au troisième système électoral (1936-1970), que nous baptiserons «transitionnel», et qui voit une nette domination de Maurice Duplessis et de l'Union nationale, qui gouvernent la province pendant 23 de ces 34 années. Les bases sociologiques de ce système sont très nettes, l'UN recevant les faveurs de l'électorat rural tandis que les supporteurs libéraux se retrouvent principalement dans les villes. Les relations entre les gouvernements provincial et fédéral (autonomisme versus collaboration) ainsi que le rôle de l'État (laisser-faire versus État baliseur) semblent être les principales lignes de fracture entre les partis. Ce système se délite pendant les années 1960 avec la naissance des partis indépendantistes (RIN, RN, MS-A puis PQ) et l'apparition d'une véritable mouvance de gauche, sociale-démocrate ou même marxiste-léniniste, dans le Québec francophone. L'éclatement du PLQ en 1967-1968, marqué par le départ de son aile souverainiste, signe son arrêt de mort et provoque à court terme la disparition de l'Union nationale.

Le quatrième système électoral, dit «constitutionnel», voit le jour en 1970 et est dominé par l'affrontement entre souverainistes (PQ) et fédéralistes (PLQ), aucune des deux options n'étant en mesure de terrasser l'autre ni même d'établir son hégémonie électorale, et par les divers psychodrames qui le ponctuent (crise d'Octobre 1970; référendum de 1980; rapatriement de la Constitution en 1982, échec de l'Accord du lac Meech en 1990, référendum de Charlottetown en 1993; second référendum sur la souveraineté en 1995). Malgré l'affrontement idéologique et partisan, aucun des deux partis dominants ne se démarque dans sa gestion de l'État, qu'on pourrait qualifier de globalement étatiste et social-démocrate.

La percée électorale de l'Action démocratique du Québec entre 2002 et 2007, ainsi que la lassitude de l'opinion publique devant l'enlisement du débat sur la souveraineté, l'immobilisme et la crise autour des moeurs politiques, semblent indiquer la fin prochaine du quatrième système électoral. Il pourrait laisser sa place à un système fondé sur l'affrontement entre les tenants d'un renouveau dans la gestion de l'État et d'une plus grande responsabilité fiscale, et les partisans du maintien du «modèle québécois» tel que mis en place depuis la Révolution tranquille. Reste à savoir lequel des deux autres partis, le PQ ou le PLQ, se trouverait marginalisé au sein de ce cinquième système électoral.