Le 27 septembre dernier, Le Devoir a publié, sous la plume d'un collectif d'auteurs largement issu de nos universités, une tribune sous le titre «Laïcité juridique et sociale: il est grand temps!». Ce texte, en plus de réclamer une charte de la laïcité et la fin des accommodements pour des motifs religieux, revendique l'établissement de «rapports sociaux laïques (sic) dans l'espace public», c'est-à-dire dans «la rue», ce qui va bien au-delà du service public ou de la fonction publique.

Le 27 septembre dernier, Le Devoir a publié, sous la plume d'un collectif d'auteurs largement issu de nos universités, une tribune sous le titre «Laïcité juridique et sociale: il est grand temps!». Ce texte, en plus de réclamer une charte de la laïcité et la fin des accommodements pour des motifs religieux, revendique l'établissement de «rapports sociaux laïques (sic) dans l'espace public», c'est-à-dire dans «la rue», ce qui va bien au-delà du service public ou de la fonction publique.

Cette revendication surprend dans une société démocratique.

Le Québec a longtemps vécu sous un régime des ayatollahs. Nous ignorions le mot, mais nous vivions la réalité. Mgr Plessis s'adressant à Lord Bathurst (1809): «Je persiste à croire, Milord, qu'en favorisant la religion catholique dans les provinces de l'Amérique du Nord, Votre Seigneurie travaille au soutien du gouvernement de Sa Majesté et nos autels défendent le trône en même temps que le trône les protège.» L'abbé Brosseau (1904): «Toute question sociale est une question morale, et toute question morale est une question religieuse», d'où la subordination de toutes les lois de l'État aux divines lois de l'Évangile.

Nenni de la diversité, nenni de la tolérance, nenni de l'ouverture. Veut-on retourner à un univers clos, autrefois par une religion oppressive, sous prétexte que la laïcité radicale serait garante de la paix civile et du bien vivre ensemble? La Révolution tranquille, aboutissement d'une longue évolution, nous aurait débarrassés du carcan d'une religion ritualiste et unanimiste. L'ouverture et l'acceptation démocratique de la diversité, l'accueil de l'Autre en tant qu'autre nous faisaient passer de l'ethnique et du religieux au politique.

Quel repli sur soi que cette revendication du respect du «principe de la laïcité dans les rapports sociaux». Le Québec serait passé de l'ultramontanisme ultramonté à la séparation de l'Église et de l'État qui assure le respect de toutes les orientations religieuses et philosophiques, pour aboutir à un athéisme étatique et social au nom de la paix civile et du bien vivre ensemble.

Ce ne sont pas des accommodements raisonnables, même pour motif religieux, liés à la réalité socio-politique de chaque pays qui risquent de mettre le feu aux poudres. La France (laïque et républicaine), l'Angleterre, l'Allemagne et les États-Unis, tous pays réputés laïcs, ont des politiques et des pratiques beaucoup plus respectueuses de la diversité qui ne mettent pas en danger la paix civile puisqu'elles en sont le fondement.

Qui dit accommodement dit accommodement par rapport à une identité définie et évolutive. Le problème résiderait moins dans les accommodements eux-mêmes que dans l'incapacité des Québécois à définir leur identité. Dans un état de dépendance politique et juridique, d'indécision identitaire et linguistique et de vacuum éthique, le Québec peut facilement percevoir toute influence externe comme une agression. Le Québec est encore rongé par ses vieux démons.

Outre son incompatibilité avec les principes de tolérance qui fondent les régimes démocratiques occidentaux dont le Québec fait encore partie, cette proposition soulève quelques difficultés pratiques: les juifs orthodoxes d'Outremont pourront-ils encore sortir de leur maison vêtus de leur redingote et de leur chapeau de vison? Les disciples de Krishna pourront-ils encore déambuler sur les trottoirs? Les autels bouddhiques des restaurants chinois devront-ils disparaitre? Et la croix du mont Royal?

Enfin, le remède préconisé contre l'invasion appréhendée et agressante du religieux n'est qu'un coup d'épée dans l'eau. La charte québécoise des droits de 1975 n'est plus, malgré son titre ronflant, qu'une loi ordinaire supplantée par la charte canadienne de 1982, même si le Québec refuse de la reconnaitre. C'est la charte canadienne et l'interprétation qu'en donnent les juges de la Cour suprême qui définissent les normes fondamentales au Québec, tant en matière de religion/laïcité que de langue. Que ceux qui en douteraient encore relisent les décisions de la Cour supérieure sur la place de la religion dans notre système scolaire et de la Cour suprême sur les écoles passerelles.

Comment imaginer que les Québécois voudront revenir à un régime social autoritaire et répressif contre lequel ils ont lutté avec détermination et succès? Quel autre pays appliquerait une politique aussi intolérante et intégriste, à part l'Afghanistan, l'Arabie Saoudite et la Corée du Nord? Si ce collectif d'auteurs universitaires nous annonce les conditions du vivre ensemble dans un Québec futur, souverain ou pas, qui voudra y demeurer? Qui voudra s'y installer?